#9 – Les pompiers, la maison qui brûle

Pompiers : Embouteillage N118
Les soldats du feu ont pour habitude d’aller au front de l’incendie, mais comment y parvenir sainement quand c’est leur maison même qui brûle ? Moins visibles que leurs collègues parisiens, c’est dans l’irréductible 91, que les sapeurs-pompiers ont montré leur volonté de sauver les casernes des moyens en baisse. Il leur a pourtant fallu un long mois de mobilisation pour se faire entendre par le conseil départemental. Ainsi, entre novembre et décembre, de nombreux professionnels et volontaires, dont des pompiers zopaliens, ont participé aux manifestations ayant eu lieu à Évry(1). Comme la plupart des mobilisations sociales, a fortiori celles des éternels fonctionnaires, cette mobilisation des « jamais contents » avait quelques requêtes à défendre. Entre autres : le renflouement des dettes du Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS), la réhabilitation des engins et, laissons-nous rêver, l’augmentation des effectifs. Tout le monde s’en fout mais on va les écouter quand même.

Levez la main ceux qui veulent être pompier !

Selon Emmanuel Loby, vice-président du SPA (Sapeur-Pompier Auxiliaire), le mot d’ordre était certes l’augmentation des effectifs. Mais c’est principalement le manque d’attractivité et de moyens de certaines casernes qui était pointé du doigt par les organisations syndicales. « Prenez la caserne de Juvisy, elle ne comprend que deux véhicules, ce qui n’est pas du tout attractif pour de jeunes sapeurs »(2), explique le représentant. Plus grave encore, lorsque le nombre d’homme est insuffisant, il est impossible pour ces centres de secours de former des volontaires au renouvellement du contingent. Dans ces conditions, et face à l’augmentation croissante des interventions, il est de plus en plus difficile de former les jeunes candidats. À titre d’exemple, la caserne de Palaiseau comptait 2 700 sorties pour 9 pompiers de garde en 1999. En 2018, c’est plus du double : 5 600 sorties pour 10 pompiers de garde. En moyenne, c’est environ 20 % d’activité en plus dans tout le département, comme en témoignent des fonctionnaires du centre de Montlhéry. Jusqu’ici tout va bien.

Qui a encore appelé le 18 ?

Pourquoi une si forte augmentation des interventions ? Si le principal facteur est le vieillissement de la population du département, d’autres variables sont à prendre en compte, notamment l’augmentation du taux de pauvreté. Celui-ci est passé de 9,1 à 12,5 %(3) entre 2008 et 2014. En tant que facteur avéré de fragilisation de la santé, la pauvreté favorise l’augmentation des interventions de secours. Après tout, les « gens qui ne sont rien » n’ont qu’à pas être pauvres et les vieux n’ont qu’à rester jeunes.

Un service public fragmenté

Autre source de complication, l’atomisation des budgets et des statuts(4) qui comprend tout le territoire national. Pompier professionnel, volontaire, service civique, CDD… autant de réglementations et de statuts divers qui nuisent à la cohésion d’un corps de métier qui en a grand besoin. Certains pompiers ne font par exemple qu’une seule garde par semaine du à ces multiples statuts, ce qui défavorise la bonne intégration au sein des casernes. Et cela n’est pas sans conséquences sur leur capacité à l’entraide mutuelle et au soutien psychologique au sein d’équipes confrontées en permanence à la détresse sociale. Nathan, pompier exerçant dans le 93, atteste de ces difficultés inhérentes au travail de pompier : « J’ai l’impression de côtoyer la misère du peuple »(5). Rappelons le nombre important de suicides au sein de la profession(6) qui, en 2015 s’élevaient à une cinquantaine. Un chiffre plus important que chez la police et deux fois plus élevé que chez les gendarmes(7).

Pompiers : Les réflexes qui sauventÀ une plus grande échelle, la fragmentation comprend également les moyens monétaires des casernes délégués, depuis 1996, aux budgets départementaux. En effet, les services d’incendie et de secours sont financés à 42 % par les communes et à 58 % par le conseil départemental. Ceux-là mêmes qui subissent de plein fouet la baisse des dotations de l’État. Une situation qui va vraisemblablement empirer, compte tenu du projet d’économie de 13 milliards d’euros que devront réaliser les collectivités locales d’ici 2022(8). Paradoxalement, les départements les plus touchés par la pauvreté et les moins attractifs verraient ainsi leurs moyens se réduire au détriment d’une population qui en a le plus grand besoin. C’est le cas notamment dans la Creuse où l’on compte seulement 60 pompiers professionnels pour environ 120 000 habitants. En comparaison, la ville de Palaiseau compte, elle, 43 pompiers professionnels pour une zone de 58 000 habitants. Et les pomplards d’ici galèrent déjà pas mal, alors imaginez. Plus absurde encore, « [Les services départementaux] sont obligés de s’endetter pour pouvoir être aux normes »(2) nous explique Emmanuel Loby. Plus les budgets baissent et plus la dette des SDIS se creuse.

Couverture de survie pour cacher la misère*

Jeudi 20 décembre 2018, face à la mobilisation, le Conseil départemental de l’Essonne a signé avec l’intersyndicale un protocole d’accord qui engage le département à de nouvelles embauches, à l’effacement de la dette ainsi qu’au dégagement de 1,5 millions d’euros pour 2019. Selon le service communication du SDIS, cet accord a « su trouver satisfaction pour l’intersyndicale ». Les complications liées au métier ont-elles pour autant disparu ?

Si cela faisait très longtemps que de nouvelles sessions d’examen de pompiers professionnels n’avaient pas eu lieu en Essonne, de nombreux éléments portent à croire que cet accord fait plutôt office de cache-misère*. Le premier élément à soulever est l’absence d’autonomie des casernes par rapport aux appels du SAMU. Selon Vincent, pompier professionnel au centre de Massy–Igny, si cet accord va effectivement dans le bon sens, « il faudrait surtout donner plus de moyens au SAMU ! » En effet, en Essonne, celui-ci transfère en moyenne 15 % des appels, « les pompiers sont tributaires du service d’aide médical d’urgence » souligne le représentant du SPA.

Concernant le service hospitalier, la difficulté d’accès au nouvel hôpital Paris-Saclay compliquera davantage la tâche des sapeurs-pompiers. En plus de baisser le nombre de lits disponibles pour les patients, la fermeture des sites hospitaliers d’Orsay, Longjumeau et Juvisy aura pour conséquence d’allonger les déplacements entre points de secours et lieux de transfert. Des retards qui diminueront donc les chances de survie en cas d’accidents graves. En effet, la N118 étant saturée aux heures de pointe, les pompiers pourraient mettre plus de 3 heures pour retourner à la caserne(9). Une perte de temps précieuse puisqu’ils seraient utiles à d’autres interventions, ailleurs que dans les bouchons. Et les gyrophares ? Interdits lorsqu’ils ne transportent personne… Vous imaginez un véhicule d’urgence bloqué au feu rouge ? Jérôme François, pompier dans le 95, en témoigne à l’antenne de France Info : « lorsque l’on sait que chaque minute qui s’écoule c’est 10 % de chance de survie en moins sur un arrêt cardiaque, ça pose question. »(6)

Face à cette sectorisation des budgets, des moyens et des statuts ne profitant qu’aux départements les plus riches, le syndicat SPA SDIS propose pourtant une solution : regrouper sous un même règlement budgétaire les différents services départementaux de secours, de sécurité civile, de douanes, etc.

Cette volonté de centralisation des budgets vise à mieux répartir les moyens de l’État et ainsi, à pouvoir redynamiser des territoires désertés par le service public. L’objectif de cette proposition est aussi de rendre le métier plus attractif pour les jeunes. Alors que les politiques publiques menées depuis 2008 promeuvent l’austérité sous couvert de crise économique, il s’agit d’une ébauche de réponse à contre-courant.

Malgré des avancées minimes, les sapeurs-pompiers subissent de front la désagrégation continue des services collectifs. Pris en étau entre les baisses de dotation et la détresse d’une population qui les sollicite toujours plus, les sapeurs-pompiers se retrouvent souvent désemparés. À trop tirer sur la corde qui recoud le tissu social, c’est toute la misère qui remonte à la surface. Si les sapeurs-pompiers ne peuvent plus combler ces trous, qui éteindra le feu à leur place ?

Gabriel Gadré

* Cache-misère : Nom commun composé.
Stratégie grossière de dissimulation d’une réalité pénible à l’aide de moyens artificiels tels que les paillettes ou la poudre aux yeux. À ne pas confondre avec Cash Misère, désignation habituelle de la Française des Jeux.

(1) Essonne Info (10/12/2018) : « Les pompiers font du bruit, et se font entendre »
Essonne Info (23/12/2018) : « Sortie de conflit chez les pompiers essonniens »

(2) Entretien réalisé avec Emmanuel Loby, vice-président du syndicat SPA

(3) INSEE : « En Île-de-France, la pauvreté s’est intensifiée dans les territoires déjà les plus exposés »

(4) Le Monde Diplomatique (03/2017) : « Les pompiers entre dévouement et amertume »

(5) Entretien réalisé avec Nathan, pompier exerçant entre Bobigny et le 93

(6) France Info (25/07/2017) : « Le taux de suicide chez les sapeurs-pompiers est bien plus élevé que pour la moyenne des Français »

(7) Europe 1 (16/04/2016) : « La « loi du silence » autour du suicide des pompiers »

(8) Le Figaro Économie (11/04/2018) : « Collectivités locales : Macron veut 13 milliards d’économies… mais ne s’en donne pas les moyens »

(9) Vidéo Le Petit ZPL : « Fermeture d’hôpitaux en Essonne : vers la fin du service public ? »

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