Élections à l’Université Paris-Saclay(UPS), l’université en sursis
Ces derniers temps, s’est joué, à l’Université Paris-Saclay (UPS), une série passionnante dont les épisodes à rebondissements tiennent en haleine le monde universitaire métropolitain. Et pour cause c’est que « la démocratie universitaire se joue à l’université Paris-Saclay » (1), plus grande université d’Europe (2). Le coup autoritaire mené par la présidente sortante, qui voulait prendre les pleins pouvoirs, a été déjoué par les syndicats qui, unis, ont réussi à défendre la démocratie électorale à l’« université » Paris-Saclay.
Épisode 1 / Élection surprise à l’univ’
Le 2 février 2024, le résultat des élections des membres du Conseil d’administration (CA) est cinglant pour la présidente sortante, Estelle Iacona, par ailleurs candidate à sa propre succession (3). Elle n’obtient que quatre sièges sur les 14 réservés aux représentants du personnel et des étudiants. Semblant assurée d’être reconduite à son poste, cette dernière s’était même félicitée d’une « belle réussite », si si ! Dans un communiqué de presse commun, les trois autres listes candidates estiment que ces résultats « marquent un clair rejet du bilan et du projet de l’équipe de la présidence sortante » (4). Le projet rejeté « proposait une sortie précipitée et brutale de l’établissement expérimental, et la transformation en Grand Établissement
de l’Université Paris-Saclay au 1er janvier 2025 » (5). Selon M. Keller, physicien et élu sur la liste UHDE, « un Grand établissement est une coquille vide qui permet de se doter des statuts que l’on veut, en choisissant le pourcentage des voix au CA par exemple. C’est un projet d’ampleur, une rupture énorme ».
Épisode 2 / Le blocaaaage ! (c’est mal)
À ce stade, les nouveaux élue⸱s doivent désigner les 18 « personnalités qualifiées extérieures » (PQE) qui viendront compléter le Conseil d’administration. Le 9 février, la liste proposée par l’équipe sortante est rejetée. Dans un courriel adressé le 13 février à la communauté universitaire, Mme Iacona dénonce « un blocage » de l’université et exprime son incompréhension du rejet d’une liste établie en raison de « la qualité des personnalités » et « de manière indépendante ». Côté syndicats, c’est justement le mode de désignation de ces personnalités qui est refusé. « On a voté contre [cette liste] par principe, pour revendiquer que les personnalités extérieures soient nommées par chaque liste au prorata des votes obtenus mais les négociations n’ont pas abouti » confie M.Keller. Dans le cas présent, les listes soutenues par les syndicats revendiquaient de pouvoir nommer 10 personnalités sur les dix-huit.
Épisode 3 / On remet ça
Le 28 février rebelote. La liste des personnalités est retoquée. Le front des trois listes persiste dans sa critique et demande que les nominations se fassent au prorata des votes.
Épisode 4 / Médiation
Le 1 er mars, un administrateur provisoire est nommé : Camille Galap (6). Sa mission est de débloquer la situation et aboutir à la validation d’une liste de personnalités, condition nécessaire pour organiser l’élection d’un⸱e président⸱e. Le 28 mars, un accord est trouvé sur une liste composée de six personnalités choisies par les élu⸱es. On va enfin pouvoir passer aux choses sérieuses.
Épisode 5 / Élection présidentielle
Alors que tout semblait en ordre, patatras ! Le 30 mars, aucun des deux candidats ne gagne malgré trois tours de vote. La présidente sortante est bien chahutée vu qu’elle n’obtient pas plus de 14 voix à chaque tour. Yves Bernard, proposé par les nouveaux élu⸱es, en a 18 au premier tour. Dommage, il en fallait 19 pour gagner ! Et ça repart pour un tour.
Épisode 6 / What’s next ?
Prochaine échéance le 11 juin prochain pour un nouveau scrutin présidentiel. Entre temps, l’administrateur provisoire, M. Galap a démissionné puis officialisé sa candidature. Mme Iacona a renoncé à se succéder et M.Bernard confirmé qu’il se représentait. Surprise, M.Souhil Megherbi, actuel président de la commission de la recherche entre en jeu. C’est donc clairement un membre de l’équipe
sortante. Selon une source proche du dossier, son bilan en tant que président « n’a pas ébloui par sa gestion démocratique ». Suspens.
Les enjeux de l’élection à UPS – Un cas d’école / Démocratie en berne (7)
Il se dessine, lentement mais sûrement dans les universités françaises, une tendance managériale où l’idéologie semble être d’en finir avec la démocratie et la science désintéressée. Systématiquement, les conseils d’élus choisis par les personnels sont affaiblis dans les Conseils d’administration ( 8 ). À Paris-Saclay, c’est ce qui était prévu. À l’origine, quand c’était Paris-Sud, un Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), le Conseil d’administration (CA) était composé à 75 % d’élus. Puis pour la phase expérimentale (EPE), le choix a été fait de ramener la part des élus à 50 %. Le reste des voix au CA revient, tenez-vous bien, à la fameuse liste de « Personnalités qualifiées extérieures ».
Ces personnalités ne sont pas élues mais cooptées, par un Comité de direction élargi dont fait partie le ou la président⸱e en poste ( 8 ). Elles pèsent lourd dans les choix de l’établissement et notamment pour l’élection du ou la présidente. Le choix de ces personnalités est crucial car elles ont voix au chapitre pour l’orientation des recherches, choix pédagogiques, positionnements politiques des établissements. D’où la crispation actuelle.
Si on prend la liste retoquée le 9 février, on comprend la frilosité des syndicats : des plutôt gestionnaires ex-chercheurs, des représentants de multinationales comme Nokia, Stellantis, Safran Tech, Air Liquide, Thales, voire même Justine Coutard, directrice de l’aéroport d’Orly et ancienne directrice de cabinet de Gérald Darmanin. Admettons qu’on opte pour des représentant⸱es d’assos sur le climat, l’anti-racisme ou l’anti-sexisme, ben c’est plus la même université.
Université ou Grand établissement, my dear ? En plus des attaques sur la démocratie, le statut de Grand établissement, que rejette fermement la communauté universitaire « permet également de déroger à certaines règles prévues pour les universités dans le Code de l’éducation» explique M. Keller. Parmi les dérogations possibles, celle de délivrer des diplômes qui ne sont pas reconnus par le Code de l’éducation. C’est le cas des DU, diplômes universitaires non officiels. De plus, « cela permet d’introduire la sélection des étudiants, de fixer des frais de scolarité comme on veut, c’est une double perte de démocratie » analyse M.Keller. « Le résultat, c’est une mise en compétition des établissements d’enseignement supérieur », des étudiants et diplômées.
En effet, une licence, un master et doctorat a la même valeur qu’on l’ait obtenu à Paris-Saclay, l’université de Nancy ou de St-Étienne. Ce n’est pas le cas des DU qui ont la cote de l’université qui les délivre. Il vaudra donc mieux avoir un DU de la prestigieuse Paris-Saclay qu’un diplôme officiel obtenu dans une petite fac ailleurs en France. Ainsi, ce statut qui introduit mise en compétition des établissements et des jeunes préfigure l’avenir de la formation post-bac. « Le réel projet de ces fusions, c’est de démanteler et disloquer les UFR (Unité de formation et de recherche) qui pilotées par une mégastructure perdent leur autonomie ». Et cela a des conséquences énormes. « l’Université Paris-Saclay n’est pas à proprement parler une université, c’est un campus, un méga-établissement, il y a pas mal de confusion autour de ça ». Ainsi ces Grands établissements n’ont d’université que le nom puisque leurs statuts ne respectent plus la loi qui s’applique aux universités et sont gérées comme des entreprises par des personnalités soigneusement qualifiées pour enterrer l’université et la recherche publique ou la réduire aux besoins du marché mondialisé.
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(1) academia.hypotheses.org
(2) En nombre d’étudiant⸱es. Les composantes de l’établissement Paris-Saclay : les cinq facultés de l’ex-université Paris-Sud, une école d’ingénieurs universitaire, quatre grandes écoles, trois instituts universitaires technologiques, deux universités intégrées et sept organismes nationaux de recherche.
(3) Quatre listes se sont présentées. Voici le nombre de sièges obtenus au CA Ensemble, Construisons l’avenir, liste soutenant Estelle Iacona (4sièges, la liste Pour une Université Humaniste, Démocratique et Humaniste (UHDE) en obtient 6, L’université Paris Saclay à coeur 2 et le SNPTES UNSA 2 également.
(4) publipostage de la liste UHDE suite à la publication des résultats.
(5) communiqué de presse des trois « autres » liste en date du 5 février 2024
(6) Ancien recteur de l’académie Guadeloupe, professeur des universités et ancien président de l’université du Havre. Il est aujourd’hui candidat à la présidence de l’EPE Paris-Saclay
(7) C’est un peu comme ce qui s’est passé dans les hôpitaux, désormais gérés par un directeur administratif tout puissant.
( 8 ) La représentativité des élues et PQE est un choix fait dans les statuts. À L’université Gustave Eiffel y sont cash ça sera pas plus de 43 %.
(9) L’équipe sortante a donc tout le loisir de choisir des personnalités favorables à son programme et qui votera comme il faut.