#11 – Coronacra

CoronaCRA

En mars, on s’confine. Mais qu’en est-il des CRA ?

Pendant le premier confinement, le Centre de Rétention Administrative (aka CRA, aka prison pour sans-papiers) de Palaiseau avait été fermé. Pourquoi ? Eh bien, c’est assez logique, en temps coronavirussien. Premièrement, il fallait éviter les rassemblements de personnes. Or, dans ce CRA, peuvent se côtoyer jusqu’à 39 retenus, auxquels il faut ajouter des policier·ères, des membres de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) et de FTDA (France Terre d’Asile). Ça en fait du monde sous le même toit qui peut se refiler le virus ! Deuxièmement, on enferme les gens dans les CRA dans le but de les expulser. Et vu la pandémie mondiale, c’était pas très anti-propagation d’envoyer des gens aux quatre coins du monde. Alors on est rassuré·e et bien content·e que la décision de fermer les CRA ait été prise… Comment d’ailleurs ? Le gouvernement qui a tant à cœur de lutter contre le virus ? Eh bien non, c’est le travail acharné des associations et des avocat·e⋅s impliqué·e⋅s dans le droit des étranger·ère·s qui a permis leur fermeture. Dingue ça. En tout cas, à Palaiseau, la plupart des retenus avaient été libérés, sauf deux d’entre eux qui se sont malheureusement retrouvés au CRA du Mesnil-Amelot.

Déconfinement, c’est la teuf, on remet les CRA en route

L’été arrive, on déconfine, le virus, on l’maîtrise avec deux-trois gestes barrières, pas de raisons de laisser les CRA vides ! Alors hop, on enferme à nouveau les sans-papiers. Avec des conditions d’enfermement adaptées bien sûr, faut respecter les mesures sanitaires. Enfin, au moins quelques unes. Pour le CRA de Palaiseau, on a appris par un retenu via une asso locale qu’y avait pas de gel à disposition et que l’accès au savon, c’était deux fois par jour. Mais bon, ils ont des masques et ils sont plus qu’un par chambre (au lieu de deux). Ça permet de respecter la distanciation.

Par contre, on peut se demander pourquoi rouvrir les CRA. Malgré le déconfinement, la majorité des frontières étaient toujours fermées. Pas toutes, certes. Par exemple, certains pays exigent un test négatif. C’est-à-dire que deux jours avant leur expulsion, la police demande aux retenu·e⋅s de passer le test PCR. Et attention, en cas de refus, le risque est gros : « Plusieurs personnes ont déjà été condamnées à des peines de prison ferme ou avec sursis » nous dit la Ligue des Droits de l’Homme(1). « Le commun des mortels a le droit de refuser de se faire tester, mais pas quand on est en CRA »(2) résume Assane Ndaw, spécialiste de la rétention chez Forum réfugiés-Cosi. Des peines tout à fait aberrantes, mais bon, c’est des sans-pap’, qui s’en soucie ?

Deuxième vague, deuxième confinement : au CRA, c’est cra-cra

Après les beaux jours, le virus est toujours là. On referme les bars, les restaus, on s’reconfine… On referme les CRA ? Bah non, il semble que ce soit de première nécessité. Dans la vie, il faut manger cinq fruits et légumes par jour, boire deux litres d’eau, et enfermer les sans-papiers. C’est très important.

On enferme, on enferme, mais les gestes barrières ? Quelles sont les conditions de rétention ? Eh bah, pas top, faut bien avouer. On peut même dire déplorables. À Mayotte, même la police demande la fermeture du CRA(3). À Lyon et Marseille, des retenus ont entamé une grève de la faim pour alerter sur la situation catastrophique : « on a des habits sales. Y’a pas de nettoyage des chambres. On est 5 personnes dans une pièce de quatre mètres sur deux. […] Il y a des gens qui ont attrapé le coronavirus depuis une semaine ils sont là, ici, avec nous. Ils les ont emmenés en isolement, ils sont sortis positifs, ils les laissent dans notre chambre, avec nous. Y’a pas les moyens sanitaires. Y’a pas de masques. Ils donnent pas les produits sanitaires pour se laver les mains, pour ça y’a rien. » Aucune mesure n’est prise face à la multiplication des cas : « Ils ont dit, débrouillez-vous, marchez pas à côté d’eux [ndlr les personnes malades] c’est tout »(4). La réponse policière est violente : « la Police Aux Frontières (PAF) se déchaîne toujours plus et n’hésite pas à faire usage de la violence et à intimider les prisonniers, pour faire taire leurs tentatives de dénonciation et de contestation. En début de semaine, un retenu a ainsi été passé à tabac » dénoncent des militant·e⋅s(5).

De la rétention à la détention

Durant la deuxième vague de l’épidémie, la situation a peu évolué : les frontières hors Union Européenne sont quasiment toutes fermées. Ce qui rend l’expulsion de retenu·e⋅s, pour la majorité, techniquement impossible. Deux Algériens enfermés à Palaiseau début novembre se trouvent dans cette situation, la frontière franco-algérienne étant fermée. Et cela pose un énorme problème sur le plan éthique, et juridique. À la base, la raison d’être d’un centre de rétention, c’est d’expulser, et pas d’enfermer. L’enfermement, ça s’appelle de la détention. C’est réservé aux délits ou crimes. Rétention et détention, c’est pas la même chose, c’est con, à une lettre près. Et, du coup, c’est illégal d’enfermer une personne qui n’a commis aucun crime. L’enfermement en centre de rétention, déjà xénophobe et inadmissible en temps normal, est un acte illégal dans la situation actuelle. En plus, il revient aux retenu·e⋅s d’apporter la preuve aux juges qu’iels sont illégalement détenu·e⋅s. Mais des documents officiels attestant la fermeture de telle frontière, ça n’existe pas. Pas de bol. Les retenu·e⋅s vont donc continuer à purger une peine totalement injuste.

Cramalgame

Dernièrement, les retenus de Palaiseau sont plus d’un par chambre. Le phénomène est général selon le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, autorité administrative indépendante qui indique que la capacité d’accueil des CRA « limitée un temps à 50 % pour freiner la propagation du virus est progressivement passée à 60, 70, voire 90 % dans certains centres. Les personnes retenues sont regroupées à deux, voire trois par chambre »(6). Mais pourquoi abandonner la règle de la distanciation physique, mesure sanitaire fondamentale ? On ne peut que spéculer. On se demande si le gouvernement ne serait pas un peu sensible à un argumentaire d’extrême droite, revenu à la mode depuis les derniers attentats : on parle de l’amalgame xénophobe consistant à confondre terroriste et migrant(7). Ça expliquerait ce choix infect d’enfermer plutôt que lutter contre la propagation du virus.

Ferme ton CRA

Le Contrôleur des Lieux de Privation de Liberté inquiète tout autant que nous : « le fonctionnement des CRA semble aujourd’hui porteur de risques graves pour la santé des personnes retenues et des fonctionnaires qui les prennent en charge, ainsi que d’insécurité juridique du fait de l’absence de perspective raisonnable d’éloignement »(8). Bref, les CRA, dépositaires de tout ce qu’on trouve de plus mauvais dans notre politique (enfermement abusif, racisme étatique et gestion préoccupante de la crise sanitaire), doivent fermer au plus vite.

MAnth

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