#11 – Des collages à Zopal !

On colle la nuit pour que l'égalité voit le jour
Le mouvement des collages féministes a débuté dans les rues de Paris, il y a un peu plus d’un an. Les slogans placardés sur les murs par des groupes de femmes et minorités de genre* dénonçaient au départ les féminicides**, puis d’autres thèmes sont apparus, tels que la culture du viol, le racisme, la transphobie***. Le mouvement s’est répandu progressivement partout en France. Retour sur les collages qui ont fleuri dans les rues de Zopal ces trois derniers mois.


Le sexisme ne s’arrêtant pas au périph’, l’aventure a continué à Palaiseau en juin 2020 avec cinq amies. L’une d’elles ayant participé à des sessions collages sur Paris, l’idée émerge de se mettre à coller là où elles habitent. Les colleuses ont ainsi investi les rues de Zopal avec des slogans qui marquent les esprits : « LE SEXISME EST PARTOUT, NOUS AUSSI », « VIOLEUR, À TOI D’AVOIR PEUR », ou encore « 1 % DES VIOLEURS CONDAMNÉS, QUE FAIT LA JUSTICE ? ».

Trois colleuses m’ont raconté comment se déroule une session collage made in Zopal. En général, elles se retrouvent autour d’un atelier apéro-peinture où elles sélectionnent leurs slogans, les peignent en lettres majuscules noires sur feuilles blanches A4 et attendent que la peinture ait séché. Puis c’est la session collage qui démarre. Chacune a alors un rôle bien déterminé : l’une d’entre elles applique une première couche de colle, une autre tient le paquet des lettres qui formeront les slogans, une autre plaque ces lettres au mur, l’une passe une seconde couche de colle dessus, et enfin une dernière fait la sentinelle. Le groupe étant victime de son succès, elles sont aujourd’hui une quinzaine et l’atelier-apéro est désormais séparé de la session collage pour prendre le temps de se rencontrer et de se former.

Elles m’ont aussi raconté les risques qu’elles prennent lorsqu’elles vont coller le soir, et les ennuis qu’elles ont déjà rencontrés. Cela va du banal au flippant. Niveau 1 : les hommes en voiture qui les klaxonnent ou les sifflent, parce que le harcèlement de rue c’est si habituel que ça fait même plus peur (à tous les harceleurs de rue, les colleuses ont un message pour vous : « REGARDS INSISTANTS, NIQUEZ-VOUS, CORDIALEMENT »). On passe au niveau 2 : les hommes qui viennent vous menacer d’appeler untel si vous n’arrêtez pas ce que vous êtes en train de faire. Enfin, le niveau 3 : vous faire suivre en voiture par un homme qui vous prend en photo pour pouvoir vous dénoncer. Évidemment, ce n’est pas comparable à ce qui est arrivé à quatre colleuses de Montpellier (elles se sont fait renverser volontairement par un homme en voiture(1)). Mais il faut reconnaître que le risque zéro n’existe pas. Certain⋅e⋅s seraient tenté⋅e⋅s de dire qu’elles n’ont qu’à pas coller pour ne prendre aucun risque. Petit rappel : il n’y a pas besoin de coller des slogans féministes la nuit pour ne pas être en sécurité quand on est une femme.

Enfin, il y a aussi le risque de se faire arrêter par la police, même si cela ne leur est encore jamais arrivé. M’enfin, le message que leur adresse la mairie de Palaiseau est très clair : des agent⋅e⋅s de nettoyage sont envoyé⋅e⋅s le matin même pour enlever les collages apposés la veille. Faut croire que les violences sexistes et sexuelles ne valent même pas la peine d’être dénoncées à Palaiseau.

Revenons maintenant sur les motivations qui animent les colleuses de Palaiseau. Placarder des slogans féministes dans la rue est loin d’être un acte anodin. Les personnes qui le font veulent interpeller les passant⋅e⋅s, rappeler à la société ce qu’elle ne veut pas voir et surtout soutenir les femmes et minorités de genre qui subissent les violences sexistes au quotidien. Toute personne ne faisant pas partie du groupe dominant (spoiler alert : le groupe des hommes cis-genres****) le sait : la nuit, on rase les murs pour aller d’un point A à un point B le plus vite possible. Donc quand ces femmes investissent les rues de Zopal la nuit, c’est un acte politique.

Ces collages dans Palaiseau sont devenus très populaires malgré les quelques personnes mal avisées qui retirent avec leurs petits doigts rabougris les lettres des slogans. Comment des bouts de papier peuvent-ils autant vous froisser au point de vouloir les retirer, alors que tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint en France(2) ? Preuve en est sur le compte Instagram @collages_feministes_palaiseau : les likes et messages privés de remerciement pleuvent. Et il faut dire que les slogans ont de quoi attirer l’œil : toujours percutants, ils suivent l’actualité. Des passant⋅e⋅s ont ainsi pu profiter des slogans « ROMEO QUE DE NOM » ou « TU RACONTES QUE TU LES AIMES MAIS C’EST TOI QUI LEUR FAIS DU MAL #MOHA ». C’est en référence aux rappeurs Roméo Elvis et Moha La Squale qui ont récemment fait la une des médias, l’un pour avoir agressé sexuellement une femme(3), l’autre pour avoir séquestré et agressé sexuellement au moins trois femmes(4). « POLANSKI TA PLACE EST AU PLACARD, PAS AUX CESARS ! » fait évidemment référence à Roman Polanski (dit Violanski), ce cher vieux monsieur accusé de 12 agressions sexuelles et qui avait été récompensé l’année dernière du César du meilleur réalisateur. Eh bien cette année, c’est le pompon, il fait partie de la nouvelle assemblée générale des Césars(5) !

Enfin, pour finir sur du local (on est dans Le Petit ZPL pardi), le 18 septembre dernier, un jour où il faisait 27 °C, une élève du collège Joseph Bara avait été convoquée au bureau du CPE pour tenue inappropriée, parce qu’elle portait un short. Les colleuses ont été informées de cet incident par une proche de cette collégienne et ont décidé de dénoncer cette mésaventure en placardant sur le collège « MON SHORT N’EST PAS UNE INVITATION ». Jamais. Parce que les femmes et les filles doivent pouvoir s’habiller comme elles le souhaitent, sans la culture du viol qui leur dicte leurs tenues. Des élèves du collège ont tenu à remercier les colleuses d’avoir agi face à cette injustice.

Tant qu’il restera des violences sexistes et sexuelles dans notre société, les groupes de collage féministes seront là pour dénoncer ce que la société veut garder caché. Merci à ces personnes qui font ce travail d’intérêt public bénévolement.

Alice

Pssst… Une cagnotte pour aider les colleuses à financer leurs dépenses liées aux collages (ça coûte des sous la colle, le papier et la peinture) : https://www.helloasso.com/associations/collages-feministes-palaiseau/formulaires/2/widget

(1) france3-regions.francetvinfo.fr (04/09/2020) – « Interview France 3. Montpellier : un chauffard fonce volontairement sur 4 colleuses d’affiche »

(2) lefigaro.fr (18/08/2020) – « Violences conjugales : 146 femmes tuées par leur compagnon ou ex-conjoint en 2019 »

(3) streetpress.com (11/09/2020) – « Roméo Elvis m’a agressée sexuellement, la victime témoigne »

(4) lemonde.fr (08/09/2020) – « Le rappeur Moha La Squale visé par des plaintes pour agression sexuelle »

(5) leparisien.fr (15/09/2020) – « Les Césars se modernisent… mais gardent Roman Polanski »

T’as capté ?

* Les minorités de genre regroupent les personnes ne s’identifiant pas comme cis-genres.
** Un féminicide est le meurtre d’une femme en raison de son genre. En 2019, 152 femmes ont été victimes de féminicides en France (recensement effectué par le Collectif Féminicides par compagnons ou ex).
*** La transphobie désigne les discriminations et violences perpétrées à l’encontre des personnes transgenres. Une personne transgenre est une personne ayant une identité de genre différente de celle correspondant au sexe qui lui a été assigné à la naissance.
**** Une personne cis-genre est une personne dont l’identité de genre est en accord avec le sexe qui lui a été assigné à la naissance.

La culture du viol, c’est quoi ?

Quand on parle de culture du viol, on parle d’un ensemble d’idées reçues, de croyances et de pratiques partagées par l’ensemble d’une société qui rendent les violences sexuelles envers les femmes acceptables et laissent les agresseurs dans l’impunité. Penser que les violeurs sont des détraqués qui violent leurs victimes la nuit dans une ruelle sombre sous la menace d’un couteau, c’est la culture du viol. Trouver normal que les femmes rentrent accompagnées la nuit pour éviter de se faire agresser, c’est la culture du viol. Penser qu’une femme a pour devoir de satisfaire les ‘besoins’ sexuels de son conjoint, c’est la culture du viol. On peut continuer longtemps comme ça. À celles et ceux qui veulent en savoir plus sur ce sujet, le plus simple est d’aller lire En finir avec la culture du viol de Noémie Renard et Une culture du viol à la française de Valérie Rey-Robert.

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