#6 – Guet-apens répétés dans les préfectures de l’Essonne et de Paris

Essonnes Voyages
Au revoir Bekhan, Mariana, Magomed et Akhemed, expulsés manu militari sans aucun bagage. Les enfants de l’école du Bosquet aux Ulis ne reverront plus leurs deux petits copains de 6 ans et 4 ans à la rentrée.

Les services des préfectures semblent, à qui les pratique, bien engorgés. En revanche, pour expulser une famille tchétchène cela se fait en moins de 20 heures, l’efficacité et les compétences hexagonales se révèlent brillamment grâce à une coordination sans faille des services concernés. Mais il est vrai qu’ils ont tous un certain entraînement.

Le mercredi 25 octobre au matin, à Roissy, Bekhan Y, Mariana Y, Magomed Y et Akhemed Y, le père, la mère et deux petits de 6 et 4 ans, ont été embarqués pour Varsovie contre leur gré. Là, en Pologne, ils risquent fortement d’être renvoyés en Tchétchénie, terre qu’ils fuyaient. Ils sont comme on dit « dublinés ». C’est-à-dire que, selon des accords européens signés à Dublin en 1990 puis réformés en 2003, les demandes d’asile doivent être traitées dans le premier pays où sont prises les empreintes des personnes. Sans tenir compte ni de leur volonté ni de leur liberté de circulation. Bien au contraire.

Bekhan et Mariana logeaient avec leurs deux petits, scolarisés à l’école des Bosquets, depuis plusieurs mois à l’hôtel social des Ulis dans l’Essonne. En France depuis près d’un an, ils avaient été déboutés de leur demande d’asile, et se rendaient tous les deux mois à la Préfecture de Paris.

Convoqués le 24 octobre, ils y sont allés avec les enfants car c’était les vacances de la Toussaint. Mais là, l’agent administratif, au lieu d’actualiser leur récépissé comme d’habitude, leur a notifié une convocation devant un juge l’après-midi même en vue de leur expulsion et leur a fait signer les papiers correspondants. Ils ont alors immédiatement été emmenés à Roissy par des policiers qui les attendaient sur place. Rapidité et coordination des services, là ça ne traîne pas ! En revanche pas question de repasser prendre aux Ulis quelques biens personnels, ne serait-ce que quelques affaires chaudes pour les enfants. Ils sont alors embarqués dès 6 h du matin ce 25 octobre, sans même être présentés devant un juge comme cela leur avait pourtant été indiqué la veille à la préfecture.

Le préfet de Paris va certainement être récompensé pour son zèle et celui de ses agents par Gérard Collomb, le ministre de l’intérieur, lui au moins, il fait honneur au corps des préfets.

Mais ne croyez pas que cela ne concerne que la préfecture de Paris, et qu’une telle efficacité s’improvise. Cela demande de l’entraînement. Et, toute l’année, à l’Observatoire Citoyen du CRA* de Palaiseau(1), nous avons pu constater combien ces employés de préfecture en avaient de l’entraînement, en particulier en Essonne. Nous avons en effet rencontré au CRA, des hommes, jeunes ou non, de différentes nationalités, Togolais, Congolais, Kurdes de nationalité irakienne, Afghans. Christian, Mustapha, Isidore, tous futurs « dublinés » qui avaient pu expérimenter la qualité et la rapidité des services préfectoraux en matière de placement en rétention en vue d’une expulsion.

À chaque fois se reproduit le même story-board, le même guet-apens. Les personnes convoquées, bien souvent à la préfecture de l’Essonne, se présentent au guichet 3, qui les renvoie au guichet 4, puis ensuite à 15h30, au guichet 24/25. Et là surprise, une dame leur dit qu’ils vont être conduits au CRA de Palaiseau pour être emmenés ensuite au Portugal, en Italie, en Espagne, ou en Suède selon les cas. Cela en présence quelquefois d’un interprète et toujours de deux hommes en civil qui s’avèrent être des policiers. Aussitôt dit, aussitôt fait, cela ne traîne pas, c’est du beau travail. La femme, la sœur, la famille, pas informée, aura beau dès le lendemain prendre un avocat, venir témoigner au tribunal, les associations intervenir : ce sera déjà trop tard. Certains avaient des récépissés toujours en cours de validité pour plusieurs mois. Dans la majorité des cas, rien n’y fait, la machine à broyer les vies des étrangers est bien huilée et efficacement en marche.

Sans état d’âme. Banalement. La « dame du bureau 4 » de la préfecture d’Évry dort-elle bien, peut-elle être fière de ses états de service, de ses allées et venues entre le guichet 4 et le guichet 24/25 ?

L’agent administratif de la préfecture de Paris pense-t-il qu’en suivant à la lettre le CESEDA, code du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile, il sert bien la France, jadis appelée « terre d’accueil » ? Ce qu’ils font ou participent à faire, est-il juste ? Mais quand, sous l’égide du même ministre de l’Intérieur, la décision sera-t-elle prise de dégager des compétences tout aussi efficaces pour satisfaire d’autres services ? Particulièrement en Essonne, les services des naturalisations et des renouvellements de titres de séjour sont totalement inaccessibles par téléphone depuis plusieurs mois alors que le téléphone est le seul moyen fourni pour pouvoir obtenir un rendez-vous, moyen d’ailleurs obligatoire ! Kafkaïen ? Ubuesque… La moulinette est en marche.

Claude Peschanski,
membre de l’Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau

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