#8 – Sham énerve

Voisins exigeants
Tu connais le Sham ? C’est ce bar en bas de la rue de Paris, près de la gare de Palaiseau-Villebon. De mémoire zopalienne, y’a toujours eu un bar à cet endroit. Il était appelé le Maryland avant de devenir le Shamrock Kfé, puis le Sham. Il a changé trois fois de propriétaire. Les derniers ont repris l’activité en juillet 2017. Mais laisse-moi t’en dire un peu plus.

Le Sham, ce n’est pas qu’un bar. C’est « un lieu où l’on peut se sociabiliser » nous dit Anatole. Pour Adrien, c’est « un bar polyvalent et agréable. On peut y manger les pizzas commandées juste en face, on peut jouer au mölkky, à la pétanque, à des jeux de société ». C’est comble presque tous les soirs, jusqu’à 200 personnes par jour. Parfois « c’est trop plein, c’est pas fait pour accueillir autant de monde » et on a du mal à y circuler. En plus des concerts, des partenariats avec des associations sont développés. Par exemple, L’OMP a pu y organiser une friperie en juin dernier pour le lancement de son crowdfunding(1). L’association Coop-Ère, qui favorise l’échange de biens et de services entre les habitant⋅e⋅s via un dispositif de mailing y est également active. Certain⋅e⋅s y trouvent l’opportunité de concrétiser des projets, comme par exemple DJ Asato qui mixe deux fois par semaine sur vinyles. On peut y acheter des œuvres d’artistes locaux comme des albums de musique ou des BD. Au-delà de l’aspect commercial, les nouveaux gérants évoquent leur envie de participer à la vie locale, à la sociabilité joyeuse et au vivre-ensemble participatif. Certains projets vont pourtant devoir attendre.

Le Sham victime de son succès

La surpopulation du Sham entraîne inévitablement du bruit, dont les gérants ne sont pas directement responsables. Mettez un grand nombre de personnes, n’importe lesquelles, même les plus courtoises et discrètes, dans un petit endroit. Mettez-y de la vie, des conversations passionnées, et du bruit s’en dégagera. Une quinzaine de voisin⋅e⋅s embêté⋅e⋅s par toute cette vie, créent, en décembre 2017, l’association « Bien vivre au Bout Galeux » pour se faire entendre et réclamer ce à quoi ils aspirent : vivre dans le calme. « C’est une bodéga » affirme l’un d’entre eux qui pourtant, au jour où je lui parle, le 21 mars, confirme ne pas y avoir mis les pieds depuis le changement de propriétaire. Il en est de même pour la plupart des autres voisin⋅e⋅s engagé⋅e⋅s dans la « lutte contre le Sham ». On leur demande pourquoi accepter un logement près d’un bar si on est sensible au bruit. L’un d’eux affirme que l’agence immobilière ne l’aurait pas prévenu. Mais ce n’est pas tout. Les gérants ont reçu des lettres anonymes les menaçant de fermeture administrative(2) et ont retrouvé leurs pneus crevés, des clous lancés sur les voitures stationnées devant le bar. Pas un jour sans que la police ne soit appelée. Et chaque soir, la police se déplace, constate qu’il n’y a rien de problématique et s’en va. Tant et si bien que cette petite routine est désormais bien ancrée dans les habitudes. Les voisins appellent aussi la police… quand le Sham est fermé, les gérant⋅e⋅s, en vacances quelque part au soleil, loin de Palaiseau. Tels des paparazzis, des voisin⋅e⋅s seraient allé⋅e⋅s jusqu’à prendre illégalement des photos et vidéos de clients en terrasse. Deux plaintes ont été déposées au commissariat pour tapage par l’association « Bien vivre au Bout Galeux ». L’association aurait même sollicité une audience auprès de la députée, accompagnée d’une pétition(3).

Dès le début du conflit, les propriétaires du Sham prennent en considération la gêne des voisins. En novembre 2017(4), ils organisent une réunion « Vivre ensemble » pour essayer de trouver un terrain d’entente. Étaient convié⋅e⋅s voisin⋅e⋅s, client⋅e⋅s, autorités locales, et tous ceux et celles qui le voulaient. Il est étonnant que seul⋅e⋅s deux ou trois voisin⋅e⋅s concerné⋅e⋅s y aient participé. Contacté ultérieurement, l’un d’entre eux doute de la bonne volonté des gérants et estime que la démarche est « hypocrite ». Pourtant, plusieurs éléments viennent le contredire. Tout d’abord, une étude d’impact sonore est réalisée par un prestataire, à la demande (et aux frais) des gérants. Elle n’a pas révélé de dépassement. Durant l’été, tous les soirs à plusieurs reprises, le niveau sonore est enregistré à l’aide d’une application mesurant les décibels. Et jamais il ne dépasse la limite recommandée. De plus, on peut voir, affichées un peu partout à l’intérieur du bar, des notes à l’attention des client⋅e⋅s : ne pas faire de bruit ni stationner devant pour finir une conversation. De même, les horaires d’ouverture ont évolué. Ainsi le bar est désormais fermé le dimanche. La terrasse et le jardin se vident 15 minutes plus tôt qu’auparavant et une heure avant la fermeture. Dans tous les cas, le lieu, ouvert du mardi au samedi, ferme à 23 h en semaine et minuit le week-end, après quoi tout bruit cesse. Les propriétaires ont bien d’autres idées pour améliorer la situation, comme un mur végétalisé et l’insonorisation du lieu. D’ailleurs, en décembre, le bar fermera pour un mois afin de procéder à des travaux d’insonorisation et de mise aux normes de sécurité.

Et la mairie, dans tout ça ?

On en est là. Les voisin⋅e⋅s se sentent abandonné⋅e⋅s à leur sort, « condamné⋅e⋅s » à subir un bruit qui les empêche de dormir. Les gérant⋅e⋅s ont dû mettre leurs projets en stand-by et faire passer leur défense en premier. Ils sont épuisés. Élise a dû prendre 15 jours d’ITT (Incapacité Temporaire de Travail). Et la situation ne cesse d’empirer.

La mairie était au courant du conflit depuis janvier 2018 et, fin août, les gérant⋅e⋅s ont envoyé un mail au maire, demandant un rendez-vous. Au 20 septembre, toujours pas de réponse. Depuis, le rendez-vous a eu lieu, au cours duquel il aurait été demandé au Sham de fermer sa terrasse à 21 h en semaine. Ce que les gérant⋅e⋅s ont refusé car cela ferait baisser drastiquement la fréquentation et donc, le chiffre d’affaire.

Quelles solutions l’équipe municipale a-t-elle à offrir ? En conseil de quartier, on a posé la question. Le Commissaire Valence, lui, a déclaré « on fera tout notre possible pour faire cohabiter le Sham et les habitant⋅e⋅s voisin⋅e⋅s ». De la part de nos élus de proximité, on n’a pas eu de réponse concrète.

Ça l’arrange bien, le maire, de souffler le chaud et le froid, d’éviter de se mettre à dos ou les voisins, ou les commerçants ? En tout cas, incapable de résoudre le conflit et de porter assistance aux protagonistes, il laisse l’affaire aller en justice. La municipalité n’a, finalement, pas été à la hauteur de son rôle de médiatrice. Un commerce de l’« une des plus belles artères commerçantes de l’Essonne » et ses voisins au tribunal, et la mairie, passive…

Le silence, et dors !

Comment expliquer cet engouement pour ce bar ? Si le Sham a tellement de succès c’est parce que, tu le sais bien, c’est l’un des rares endroits où tu peux sortir à Palaiseau. Il y a des gens en quête de vie sociale, mais où la trouver ? « On n’a pas le choix, en fait, on a envie de sortir mais pas forcément d’aller jusqu’à Paris ». En plus, l’endroit est accueillant et intergénérationnel.

Il y a visiblement une forte demande d’endroits où se rencontrer et échanger. Les offres du service culturel et des différents services de la mairie s’adressent aux tout-petits, aux seniors et à ceux dont la classe sociale permet d’accéder à l’offre culturelle élitiste proposée par la ville. Quid des autres ? Celles et ceux qui veulent vivre le soir après 21 h, sans avoir à se déplacer à Paris ou aller au théâtre ou au cinéma? C’est à la mairie qu’il appartient de permettre l’existence de lieux ouverts à tou⋅te⋅s, quels que soient la taille de son compte en banque ou ses goûts, et de permettre le brassage social. Mais en réponse, des lieux de vie sont fermés, les bancs sont enlevés dans les rues et des contrôles policiers sont infligés à ceux qui n’ont d’autre choix que de se poser dehors. Tout est fermé, à peine la nuit tombée. Des subventions sont refusées à une asso qui cherche à faire bouger la ville…

Pantouflards ou fêtards ?

Palaiseau est une ville contrastée. Il y a ceux qui l’ont choisie car réputée « très très calme » au charme campagnard, espaces verts et maisons en pierres. Et d’autre part ceux qui cherchent la proximité de Paris et son effervescence et qui souhaiteraient que la ville soit plus animée. Pour un⋅e voisin⋅e « il n’y a rien de pire que la musique qui rentre chez soi » tandis qu’un⋅e autre confirme que de chez elle, elle entend du bruit, des voix, certes, mais pas plus que les avions, et que le brouhaha des conversations est bien moins dérangeant que le bruit de nos engins à moteur. Alors, comment faire cohabiter tout ce monde ? Dès qu’un endroit a du succès, un endroit où on peut échanger, faire la fête, tisser des liens sociaux, cela génère du bruit et des conflits de voisinage s’ensuivent. C’est un problème récurrent.

Moi, j’aurais bien une solution à apporter(ré)ouvrir des lieux de vie publics accessibles à tou⋅te⋅s, hors du schéma classique de la consommation, ce qui permettrait à tout le monde, toutes classes sociales et tous âges confondus, de se rencontrer, de nouer des liens, de s’instruire et s’enrichir au contact des autres, tout en désengorgeant un bar toujours trop plein faute d’endroits où sortir. En attendant, soutien au Sham’, que nombre de Palaisiens et Palaisiennes ne veulent pas voir fermer…

Riscla

(1) Financement participatif

(2) Une fermeture administrative est une procédure ordonnée par le⋅la représentant⋅e de l’État au sein d’un département. Elle est précédée d’un avertissement et donne lieu à la fermeture temporaire d’un établissement de débit de boisson, pour 2 mois maximum en cas d’atteinte à l’ordre public touchant à la santé et à la tranquillité, et 6 mois au plus en cas d’actes criminels ou délictueux comme défini par l’article L3332-15 du code de la santé publique.

(3) Propos rapportés officieusement aux gérants par un élu de la ville

(4) Un mois avant la création de l’association « Bien vivre au Bout Galeux »

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