Il donne à voir l’affrontement entre deux usages légitimes d’un petit bout de quartier : usage d’un domicile privé au sein duquel le droit au calme peut s’exercer, usage d’un bar au sein duquel le droit à la fête peut se déployer. L’intensité du conflit provient vraisemblablement du fait qu’il se manifeste sur un espace intermédiaire, à savoir un espace qui n’est ni complètement privé, ni strictement public.
Dans ce genre de conflits, la complexité de l’analyse et de la résolution provient d’emblée du fait que règne une incertitude sur la nature des lieux et sur leurs garant(es). Sur l’espace public, ce sont les autorités officielles qui fixent les droits d’usage et qui régulent les conflits. Dans un espace privé, c’est généralement la propriétaire ou le locataire des lieux qui fixe les règles, pourvu que ces règles n’entravent pas la loi ou la liberté des usagers des espaces privés situés à proximité. Dans un espace intermédiaire, comme peuvent l’être les halls d’immeubles, les abords d’un établissement public, les balcons, les conflits d’usage sont très fréquents : certains se sentent « chez moi », d’autres se sentent « chez nous » et d’autres « chez tout le monde ».
Dans ce type de conflits, surgissent fréquemment des figures stéréotypées(2) voire stigmatisées(3) de l’adversaire. Ici, dans le désaccord qui oppose les habitué⋅e⋅s du bar et certain⋅e⋅s voisin⋅e⋅s, on voit apparaître les figures stigmatisées des « fêtard⋅e⋅s », des « dépravé⋅e⋅s », des « alcooliques », d’une part, et les figures stéréotypées des « ronchon⋅ne⋅s » des « casanières » ou des « casaniers », des « pantouflard⋅e⋅s », d’autre part.
Enfin, ces antagonismes sociaux suscitent régulièrement des réactions disproportionnées ou inadaptées des pouvoirs publics. Les réponses strictement sécuritaires ne permettent pas de résoudre le conflit. L’évitement non plus.
Or, la cassociologie(1) dispose de méthodes modestes, équitables et raisonnables pour recomposer un usage respectueux des lieux, pour tisser des relations sociales plus paisibles. Dans ce genre de cas de figures, il conviendrait :
- De déconstruire avant tout les figures stigmatisées et stéréotypées des protagonistes. Il s’agit de faire reconnaître les réalités sociales vécues par les propriétaires du bar, par les client⋅e⋅s et par les habitué⋅e⋅s du lieu, par les voisin⋅e⋅s, par les passant⋅e⋅s.
- De faire reconnaître la légitimité de TOUS les usages des lieux : celle des propriétaires du bar, celle des client⋅e⋅s, celle des voisin⋅e⋅s. Il s’agira de faire valoir à égalité le droit à la fête et le droit à la tranquillité et de réfléchir aux modalités pratiques permettant de faire coexister sereinement les deux usages apparemment incompatibles.
- De mesurer objectivement et subjectivement les nuisances. Il s’agit de lister les nuisances réciproques possibles, autant celles qui nuisent à la tranquillité que celles qui nuisent à la fête, sur les faits mesurables d’une part (volume sonore, dégradations, vomissures, par exemple), et sur les perceptions subjectives d’autre part (difficultés d’endormissement, sensibilité particulière au bruit, sentiment de fête gâchée, symptômes relationnels, etc.)
- De faire intervenir une médiation extérieure, pour laquelle je ne saurais faire mieux que de recommander un⋅e cassociologue expérimenté⋅e.
- De redéfinir des usages possibles des lieux et de qualifier précisément les comportements nuisant à la liberté d’autrui.
- D’affirmer explicitement les responsabilités et la dignité de chacun⋅e, à savoir les éléments garantissant l’égale dignité des « fêtard⋅e⋅s » et des « pantouflard⋅e⋅s » et leurs responsabilités respectives, c’est-à-dire de définir les contextes précis au cours desquels ce sont aux « fêtard⋅e⋅s » de la mettre en veilleuse, et les contextes précis au cours desquels ce sont aux « pantouflard⋅e⋅s » de s’équiper de boules Quiès.
- De produire collectivement des règles de régulation des désaccords qui excluent la violence, le rapport de force, les copinages et le mépris de l’autre, d’accepter le fait que ces situations sont nécessairement conflictuelles mais que des formes de résolutions plurivoques(4) des conflits peuvent faire leurs preuves au jour le jour.
- De produire des compromis équitables, compromis pour lesquels il est particulièrement important de faire reconnaître les efforts et les stratégies de coexistence mises en œuvre par les deux parties antagonistes. Il s’agira sérieusement de « couper le soir en deux », à savoir de répartir équitablement les temps festifs et les temps calmes.
- De mettre en place une veille des avancées du voisinage, permettant de savourer à dates régulières les petites victoires du vrai vivre ensemble.
Un autre coin du monde est possible.
Paparacbi, cassociologue
(1) Contrairement à une idée reçue, la cassociologie d’intervention ne consiste pas en l’art d’analyser les comportements sociaux des personnes subissant le stigmate du « cassoce », mais elle s’intéresse aux vrais cas sociaux, à savoir aux situations compliquées suscitées par des discordances sociologiques ordinaires. La cassociologie se donne pour objet l’analyse des embrouilles sociales et a pour ambition de les résoudre raisonnablement et équitablement.
(2) Un stéréotype, c’est une croyance relative à une catégorie. Ça prend souvent la forme suivante : les X (catégorie) sont des Y (attribut). Un stéréotype n’est jamais vrai ni jamais faux, puisqu’il est invérifiable. Le problème, c’est que beaucoup de gens y croient et se comportent en conséquence.
(3) Un stigmate, c’est un signe qui produit un étiquetage social dévalorisant. Un groupe ou une personne stigmatisée est régulièrement victime de mépris, de rejet, d’oppression, d’exclusion ou de réprobation.
(4) Plurivoque, ça veut dire à plusieurs voix, c’est mieux qu’équivoque et qu’univoque.