#8 – La prison, c’est pas l’hôtel

Prisons : mythes et confort moderne
Ce matin, ça a fait tilt. Je suis devant l’école de ma fille et je discute avec des parents, un jour comme un autre.

On en vient à parler de mon boulot. Je suis éducatrice de rue. « Oulala c’est quoi ça ? » Je travaille avec les jeunes en difficultés de mon territoire, entre 12 et 25 ans, dans la libre adhésion, l’anonymat etc. « Et pourquoi de rue ? » Parce qu’on va justement à la rencontre des jeunes dans la rue, là où ils sont, en bas des tours. Je travaille avec des sans papiers, des déscolarisés, des handicapés, des travailleurs, des dealers… La liste est longue. En moyenne une fois toutes les 2 semaines je fais des visites en prison au parloir avocat. « Mais pourquoi tu vas les voir ? Aujourd’hui la prison c’est l’hôtel, Canal+, Play, chauffage, eau chaude, bouffe. Le tout gratuit. » Là, ça a fait un gros tilt.

Je vais mettre les points sur les i. La prison, c’est pas l’hôtel. Plus de 70 600 personnes sont incarcérées en France aujourd’hui (2 fois la population de Palaiseau). 53 prisons françaises sont en surpopulation extrême – 1 667 matelas au sol – et il y a eu 86 suicides entre janvier et fin septembre 2018. Ça, ce sont les chiffres officiels.

Comme je bosse dans le 91, mes parloirs sont souvent à Fleury-Mérogis, plus grande prison d’Europe. Alors oui, il y a eu beaucoup de travaux, ça paraît presque propre si on compare à Fresnes où les rats nous accompagnent jusqu’au parloir. Mais Fleury, c’est 12 suicides depuis le début de l’année, 2 857 places pour 4 484 détenus. Encore une fois, là je ne donne que des chiffres, alors ça peut paraître abstrait.

Je peux parler de ce que je vois, de ce que les jeunes que je visite me racontent, de ce qu’ils vivent. Une visite à Fleury, pour moi, c’est toujours au moins 3 clopes fumées sur le trajet, dont une juste devant la prison. Une petite boule d’angoisse qui grossit avant chaque passage au portique : est-ce qu’ils vont me laisser entrer ? Éviter au maximum de faire des parloirs fantôme(1) aux jeunes : dans quel état je vais les retrouver ? En général je reste une heure par parloir et je peux en enchaîner plusieurs en un après-midi sans aucune notion de temps. C’est toujours une surprise de voir l’heure quand je retourne à la voiture. Encore 3 clopes sur le retour, pour oublier un peu. Une fois rentrée, bien souvent je n’ai plus d’énergie, comme droguée. J’en croirais presque les rumeurs de camisoles chimiques données aux détenus pour les calmer. Ça c’est l’effet de la prison sur moi, éducatrice spécialisée, en parloir avocat une fois par quinzaine.

Les jeunes que je vais voir en font la demande. Bien souvent nous avons une relation de confiance et ils me connaissent depuis longtemps. Ils savent aussi que je ne répète pas ce qu’ils disent, pas même aux potes, dehors, qui demandent des nouvelles. Comme je ne fais pas partie de la famille, ils se livrent plus facilement sur ce qu’ils vivent.

La santé

3 décès de « crise cardiaque » en 3 mois dans un seul des 5 bâtiments de Fleury chez des moins de 25 ans. La première fois qu’il m’en parle, je trouve ça un peu dingue, encore plus quand je me rends compte que ces chiffres-là ne sortent jamais de la prison. Je lui demande ce qu’il en dit, il pense aux violences, aux traitements inexistants ou pas adaptés, à la crasse.

Le jeune est inquiet. Ça fait 2 mois qu’il est en béquilles, qu’il demande à voir un kiné mais qu’il n’a vu personne. Il ne prendra pas d’antidouleur, il a trop peur de devenir un zombie comme les mecs qui sont sous traitement. Ou trop peur de la crise cardiaque. Il est partagé.

Un autre jeune me demande de dire à sa mère de lui ramener du savon à son prochain parloir : 2 semaines qu’il n’en a pas.

La bouffe

Ce même jeune ne mange pas la gamelle, ce fameux plateau-repas servi 2 fois par jour, une fois à 12 h, une fois à 17 h 30. Il se fait à manger tout seul dans sa grotte(2). Il ne veut pas prendre le risque de trouver des trucs bizarres dans son assiette. Il fait donc ses courses avec sa cantine une fois par semaine. Comme pour les clopes, les tarifs sont au minimum 2 fois plus chers qu’à l’extérieur. Comme il mange halal, il a droit à du saucisson reconditionné, des imitations de saucisses Knacki ou du poulet fumé. Toute l’année.

Le mitard(3)

Ce jeune pète les plombs lors d’une bagarre en promenade. Il prend 18 jours d’isolement. C’est pendant le Ramadan. L’isolement, c’est la prison dans la prison : un lit, un WC, un lavabo, une radio. Des draps en papier pour éviter les suicides (bien que la plupart aient lieu au mitard), pas de réchaud, rien d’autre. 18 jours, c’est le maximum. Je le vois une première fois. Ça fait 2 jours qu’il y est, il n’a pas eu de change mais ne s’inquiète pas trop. Ça va arriver. Par contre comme il ne mange pas la gamelle, le soir il coupe le jeûne avec du pain et un yaourt s’il y en avait un sur le plateau. Seulement 2 jours et il a moins la forme, mais il garde le sourire. Je lui propose de faire remonter l’info pour qu’il ait ses changes plus rapidement mais il ne préfère pas. « Ça va se régler Léa, t’inquiète. » 15 jours plus tard, le régime pain yaourt ne lui a pas fait de bien, il a maigri. Il n’aura pas eu de change pendant ses 18 jours de mitard. Il aura fait la demande tous les jours, sans exception. Même caleçon, mêmes chaussettes. Par contre le jour de son retour en cellule, on lui tend enfin son carton avec ses vêtements. « Tiens, tes affaires. » Et on se demande pourquoi ils pètent tous les plombs…

Son séjour au mitard lui aura valu de lire des livres (point positif !) mais il y aura perdu toutes ses remises de peine.

L’école/le travail

Un détenu a fait la demande de participer à l’école et de travailler (servir les plateaux repas, faire le ménage…). En janvier, puis en avril. En septembre il n’a toujours pas de réponse.

Chaque détenu rencontre un ou une CPIP (Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation) en début d’incarcération. C’est parfois la seule fois d’ailleurs. Les CPIP doivent donner un avis, favorable ou non. Pour des demandes de mise en liberté surveillée par exemple, ou des aménagements de peine. Parfois sans avoir jamais vu le détenu. Quel soulagement quand les CPIP apprennent qu’on prend le relais pour un ou deux jeunes !

Les parloirs

Les parloirs avocat, c’est particulier. On reste autant de temps qu’on veut, le détenu parle de manière confidentielle et à Fleury, c’est propre, pas comme à Fresnes. Quand le détenu a un parloir avocat, le rendez-vous prime sur toute activité. Le service pénitentiaire ne peut pas lui refuser ce droit. Et en général, les surveillants flippent un peu. Ils deviennent mielleux.

Comment décrire le parloir famille ? Si moi j’ai la boule au ventre pour le parloir avocat, mettez-vous à la place de la maman, de la sœur ou de la femme, du cousin, du bébé qui doivent venir une heure en avance, faire la queue une première fois avec un sac de linge de 10 kg, passer deux contrôles au portique (mesdames, 20 % des fois c’est votre soutien gorge qui sonne. Si vous voulez voir votre proche, il suffit de l’enlever), faire la queue une deuxième fois, pour 40 minutes de parloir si tout va bien. Les détenus peuvent refuser le parloir. Dans ce cas, les familles ne l’apprennent qu’une fois dedans. Souvent ils l’acceptent, parfois dans un état que personne n’a envie de voir chez un proche. La plupart du temps, détenu ou famille, il faut faire bonne figure, essayer de ne pas pleurer, montrer qu’on tient le coup, malgré les bébés qui pleurent dans le box à coté, l’odeur de clope, de bouffe froide ou de viande crue que les proches ont rapportées ou encore malgré le couple qui fait un gros câlin juste en face. Avant de se quitter on planque tout, les clopes ou les bonbons pour les plus sages, le shit, les téléphones pour les plus courageux. Il faut bien les planquer parce que la plupart du temps il y a une fouille à nu au retour en cellule.

Je ne parlerai pas de la manière dont les familles sont traitées lors de ces parloirs, parce que les familles, tout le monde s’en fout. Une mère de détenu m’a raconté que l’avocat de son fils à qui elle avait dit « mettez vous à ma place Maître » lui a répondu « mais je ne serai jamais à votre place, ma pauvre dame. » Mange toi ça dans les dents, Madame. Mais bon, « les familles de détenus n’ont que ce qu’elles méritent. » Et puis « la prison, c’est l’hôtel, Canal+, Play, chauffage, eau chaude et bouffe, tout ca gratuit ! »

Léa Cortin

(1) Parloir fantôme : quand l’une des personnes attendue au parloir ne vient pas
(2) Grotte : cellule
(3) Mitard : isolement

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