Concertez-vous toujours…
D’abord, et ça n’a échappé à personne, dix-huit consultations en douze ans, du coup, ça fait bien plus d’une consultation par an. C’est énorme pour des citoyen⋅ne⋅s comme nous. Et, c’est un des buts : sur-solliciter et lasser les participant⋅e⋅s. En plus, quand on y repense, on voit bien qu’en fait on nous a fait réfléchir à plein de sujets isolément, sans jamais donner à voir le projet dans sa totalité. C’est ce qu’on appelle le saucissonnage. Cette manière de procéder a aussi l’avantage de ne pas atteindre les 300 Meuro d’investissement public qui déclenchent, conformément à la loi, une commission du débat public.
Autre hic, le projet d’aménagement du plateau de Saclay a été inscrit Opération d’Intérêt National. Une OIN c’est une procédure d’exception. L’OIN du coin touche 27 communes et date de 2009. Faut savoir que ça donne à l’État les pleins pouvoirs. Ça lui permet de réaliser, en toute tranquillité, le projet de ses souhaits. Aveuglés par leur vision de rivalités entre les grandes métropoles, les Blanc/Sarkozy ont lancé le fameux projet du Grand Paris. Sous couvert de rayonnement de la science, ils ont accouché de l’idée de bétonner le plateau de Saclay pour créer un cluster scientifique. Mme Pécresse, un temps ministre de l’enseignement supérieur, leur a largement emboîté le pas(2). Elle est aujourd’hui présidente du conseil d’administration de l’établissement d’aménagement du plateau de Saclay.
Les ZACôtés
Et puis, y zont créé trois ZAC. Ah, trois quoi ? ZAC : Zone d’Aménagement Concerté, je te dis. Mais, restons calmes, concerté, ici, ne signifie pas qu’on se met d’accord. Selon le code de l’urbanisme, une ZAC est une zone sur laquelle il y a un projet porté par une collectivité territoriale. Dans notre cas, c’est l’État ou plutôt son représentant : l’EPAPS (Établissement Public d’Aménagement Paris-Saclay) et donc Mme Pécresse. Pour les ZAC, le code de l’environnement ne prévoit pas de consultation. Ben non, l’État est bon pour ses administré⋅e⋅s. De toute façon, dans le contexte d’une opération d’intérêt national, c’est le préfet qui a le dernier mot.
Donc, l’établissement d’aménagement n’a aucune obligation légale de concerter et le préfet est d’accord. Et pourtant, on peut pas le contester, il nous a concerté⋅e⋅s et nous concerte toujours. Rien qu’en ce moment, deux consultations et deux enquêtes publiques ont cours sur l’agglo Paris-Saclay. Y’en a une qui fait le buzz, c’est celle à naître, la déjà chouchoute de l’EPAPS : Corbeville, 94 hectares.
La « pierre angulaire »
On nous a présenté la petite merveille lors de deux réunions d’information(3). Et ça promet : 1 500 à 2 000 logements (i’sont pas sûrs du nombre) et 2 000 lits (ça c’est pour les étudiant⋅e⋅s). Corbeville, c’est surtout un « quartier des petites distances », essentiellement résidentiel. Y’a aussi l’emplacement réservé au aïe-teck ôspitol(4) largement décrié(5) et une caserne de pompiers. On n’a pas vu l’emplacement des écoles, crèches, ni celui de la poste mais askip 14 000 m2 leur sont alloués. C’est bien moins que les 44 400 pour le complexe sportif dédié aux étudiant⋅e⋅s du campus d’excellence. Mais ce qui enthousiasme l’EPAPS, c’est son idée géniale d’« un quartier généreux en espaces verts », une « articulation » entre les deux autres quartiers nouveaux dans une continuité écologique, ouf !
Premier argument massue : 70 m2 d’espaces verts/habitant⋅e⋅s sont projetés alors qu’à Berlin, ville exemplaire en la matière, faut se contenter de 45 mètres carrés(6). D’emblée, la comparaison paraît douteuse. Mettre sur le même pied une ville déjà existante et ce qui est encore aujourd’hui un des meilleurs espaces agricoles d’Europe ? On doit comprendre (et accepter) qu’un espace agricole c’est du vide, qu’il convient de combler. Et puis, faut pas rêver les espaces verts, c’est 70 m2 de verdure pas de nature ou d’agriculture. En gros, c’est un arbre tous les 5 mètres, un terre-plein central, des venelles, des « masses arbustives* » (voir lexique p.18). Sans oublier le parc qui sera établi sur une zone déjà artificialisée (impropre à être cultivée). Non, vous ne rêvez pas. Il est bel et bien prévu de bétonner des terres arables et de verdurer des sols nazes. Faudrait se contenter de « terrasses agricoles ».
Ensuite, pour la gestion de l’eau, les inondations tout ça, c’est au point : bassins de rétention et jardins de pluie feront l’affaire. Tant pis pour les sceptiques qui font remarquer que sur Polytech’, c’est déjà régulièrement inondé alors que « tout est prévu ». Cerise sur le plateau, sobriété, valorisation et confort d’usage sont à la fête. Dame Durabilité est de la partie avec sa cohorte de gadgets : stationnement mutualisé, économie circulaire. Sans oublier ses faux amis : compostage et surtout… corridor écologique* (voir lexique p.18). Si on ne sait pas trop ce que green-washing* (voir lexique p.18) signifie, y’a pas mieux que consulter le document de présentation du projet sur le site de l’EPAPS. On y trouve de quoi briller au royaume de la novlangue*. Alors qu’aucune référence n’y est faite à l’agriculture, le projet envisage le plateau comme un « campus urbain aux spécificités géographiques », joujou convoité des urbanistes et bétonneurs verts.
Ou une pierre d’achoppement ?
Les dernières réunions de consultation organisées par l’EPAPS ont réuni de nombreuses personnes. Colère, désespoir, incompréhension et exaspération se font entendre. Les motifs sont nombreux : artificialisation des sols, construction de nouveaux logements alors qu’il y en a 7 652 vacants sur le territoire de l’agglo(7), gestion des crues, fermeture des hôpitaux, transports et circulation. Mais le sujet principal, c’est la lassitude face à la mauvaise foi de l’aménageur et à un processus de concertation qui dure depuis 12 ans. D’abord, il y a le sentiment que les contributions citoyennes – quoique pertinentes – n’ont aucun effet sur la logique d’aménagement qui se poursuit inexorablement. Les participant⋅e⋅s ont exprimé l’urgence de rencontrer les vrais décideurs. Autre point de crispation : le saucissonnage* (voir lexique p.18) et modification a posteriori des projets comme à Palaiseau sur la ZAC Polytechnique.
Aménagement, tu mens, tu mens
Déjà concerté⋅e⋅s en 2013 au sujet de sa création, les habitant⋅e⋅s de Palaiseau se voient à nouveau concerté⋅e⋅s sur le quartier Polytechnique. Quoi ? Encore ? Eh bien, c’est que les derniers champs là, ça fait désordre. L’État y verrait bien un lycée international, la sous-préfecture, et un centre de maintien pour la ligne 18. Et vous ? On peut toujours donner son avis sur le « registre dématérialisé » sur le site de l’EPAPS si on y croit toujours pasqueuh de concertation en concertation, nous voilà bien déconcerté⋅e⋅s. Pourquoi toutes ces concertations, si finalement, c’est décidé ailleurs ? À quoi rime concertation ? Mais oui ! À contestation.
Sabrina Belbachir
(1) Pour plus de détails voir notre encart ci-dessous
(2) Voir dans Le Petit ZPL#7 : [Dossier] Saclay Grand Paris
(4) Voir dans Le Petit ZPL#7 : L’hôpital qui cache le désert
(5) Samedi 17 novembre 2018, 600 personnes, deux députés, deux conseillers régionaux, deux conseillères départementales, deux maires et une dizaine de conseillers municipaux ont une manifesté contre la fermeture des hôpitaux de Juvisy, Longjumeau, Orsay et pour leur réhabilitation.
(6) Paris est totalement hors jeu avec 11,2 m2 par habitant⋅e
(7) Selon l’INSEE en 2015
Concertation, consultation et co
Une série de lois vise à faire en sorte que la population ait la possibilité de s’exprimer sur les grands projets d’aménagement. C’est ainsi que la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) a vu le jour. L’idée générale est que la population ait sa place dans le processus décisionnel sur les projets d’intérêt national. Ça concerne, par exemple, les projets de lignes ferroviaires, d’équipements scientifiques, d’installations nucléaires, de barrages, etc.
Quand le coût estimé de ces projets est supérieur ou égal à 300 MEuros, le maître d’ouvrage (les porteurs de projet) ou l’établissement public d’aménagement ont l’obligation de saisir cette commission. Dans ce cas, une enquête publique est organisée sous l’égide de la CNDP.
Pour les projets dont le coût est inférieur, le maître d’ouvrage peut prendre l’initiative. Dans ce cas, un débat public ou une concertation préalable sont organisés. Des directives européennes vont également dans ce sens comme la convention européenne d’Aarhus qui précise le cadre garantissant la participation du public.