#5 – Expo Universelle : « 2025, non merci ! »

Les agriculteurs de Saclay reprennent leurs marques après la fin de l’Exposition Universelle de 2025

C’est à Londres en 1851, en pleine industrialisation, que se tient la première Exposition Universelle. Ces manifestations durent 6 mois et ont lieu tous les cinq ans. À l’époque, les empires coloniaux veulent montrer qu’ils sont puissants, à la pointe du progrès et de la modernité. Six Expositions Universelles ont déjà eu lieu à Paris. On se souviendra de celle de 1889 avec sa Tour Eiffel et son moins glorieux « village nègre » où 400 personnes sont exposées comme dans un zoo. Dans les années 90, en plein processus de mondialisation, la pertinence des Expositions est questionnée. Alors que la compétition entre États laisse la place à la domination du capital et des multinationales, la formule est alors adaptée. Les participants sont diversifiés (multinationales, organisations internationales notamment), les pays émergents sont représentés et les Expositions sont conçues autour de thèmes qui concernent l’ensemble de l’Humanité. Pour accueillir une Exposition, les pays doivent être candidats auprès du Bureau International des Expositions (BIE). Chaque pays candidat établit un dossier dans lequel il propose un thème, un site, explicite l’équilibre financier, évalue l’impact environnemental et le soutien des citoyen⋅ne⋅s. Après étude des dossiers, les 169 pays membres du BIE votent à bulletin secret.

Erratum
Nous signalons aux lecteurs de la version papier de notre torchon que, malgré nos relectures et notre vigilance, une erreur s’est glissée. Dans la partie « Des hectares de terres arables sollicitées à l’aveugle », il fallait lire non pas « 3 000 hectares » mais « 300 ». Merci à une lectrice attentive et avertie.

Cap sur 2025

Pour 2025, la France est candidate avec comme thème « la connaissance à partager, la planète à protéger ». Sept sites sont en lice dont le Plateau de Saclay. Outre les collectivités locales, cette candidature est soutenue par des représentants du monde académique, des dirigeants de grandes entreprises partenaires (comme ENGIE, Nokia, Carrefour, Bouygues, Air France, Sanofi, le Medef) et des collectivités territoriales. Investisseurs et personnalités politiques se sont réunis dès décembre 2012 au sein d’ExpoFrance 2025, association dont le président est Jean-Christophe Fromentin, député-maire LR de Neuilly-sur-Seine. Son objet : susciter l’engouement et l’adhésion autour du projet.

Paroles, paroles, paroles… universelles

Les partisan⋅e⋅s de la candidature sur notre territoire avancent divers arguments d’ordre financier. En premier lieu, cette édition serait novatrice car financée par des investissements privés et la recette de billetterie. En réalité, l’État se porte garant de la finalisation du projet et des embûches qui pourraient survenir en cours de route. « La garantie sera dans le cahier des charges. En outre, il est possible qu’il y ait un emprunt obligatoire pour faire la soudure quelque part » détaille Pascal Lamy, ancien patron de l’OMC(1). Faire la soudure signifie supporter le coût de la dette due à l’écart dans le temps entre dépenses et recettes. C’est, une fois de plus, au contribuable de prendre en charge les risques. Les grandes entreprises savent y faire pour gagner sans risquer de perdre. Pour les retombées financières, l’Expo rapporterait de 8,4 à 23 milliards d’euros(2), selon qu’on inclut ou pas les effets indirects, pour un coût de 3,2 milliards, et entraînerait la création de 155 000 à 162 000 emplois(3). Une aubaine ! Mais comment ces chiffres sont-ils calculés ? De l’aveu même du vice-Président d’ExpoFrance 2025 Christian Boissieu, professeur à l’université et membre du Collège de l’Autorité des Marchés Financiers, « bien malin, ou bien approximatif, celui qui […] se risquerait à un chiffrage […] même après coup, il n’est pas facile d’isoler le surplus de croissance et d’emplois […] engendrés par l’Exposition de Shanghai en 2010 »(4). Selon des études menées sur la question de l’évaluation de l’impact des méga-événements que sont les Expositions Universelles, les Jeux Olympiques et les Mondiaux de football, « la dimension de vingt ans est essentielle pour bien juger [des] très grands projets »(5). À titre d’exemple, le contribuable montréalais paye encore trente ans après les JO de 1967 « ce projet olympique qui a coûté beaucoup plus cher que prévu et [que les Québécois⋅es] n’en finissent pas de payer ». La cause ? « Les autorités québécoises ont contracté une hypothèque de 30 ans sur une somme de 1,47 milliard de dollars pour le stade, sa tour, le vélodrome, la piscine olympique et le village olympique » selon RDS, une chaîne sportive québécoise(6). Et l’on pourrait donner d’autres exemples de villes qui souffrent d’endettement public suite à l’organisation d’un méga-événement, comme Albertville, Séville, Vancouver, Sydney, Athènes. Pourtant, ExpoFrance 2025 ne se prive pas de faire miroiter des effets positifs substantiels sur l’économie et l’emploi, que les médias relaient sans se demander ce qui est réellement évalué. L’avant ? L’après ? Le pendant ? Plus près de nous, affiches « #jeveux2025 » dans nos villes, vidéos sur YouTube, prospectus distribués à domicile, kits de mobilisation, le Conseil Général de l’Essonne ne lésine pas sur les moyens et se veut persuasif : « les Essonnien⋅ne⋅s veulent 2025 ». Autrement dit, les Essonnien⋅ne⋅s sont heureux à l’idée que le Plateau de Saclay (site de Corbeville) soit sélectionné pour accueillir l’Exposition Universelle en 2025. Qu’en est-il réellement sur le terrain ?

Des sacrifices durables

En parallèle à cette campagne intensive, les habitant⋅e⋅s n’ont pas été consulté⋅e⋅s, ou de manière peu démocratique, sur un projet les concernant pourtant directement. À Gif/Yvette, le conseil municipal a voté sans débat public, et à la hâte, son soutien au projet(7). Bien conscient⋅e⋅s que tout événement, quel qu’il soit, a des retombées, les habitant⋅e⋅s se regroupent en collectif, suivi⋅e⋅s par de rares personnalités politiques. Curieux et fouineurs comme ils sont, ces citoyen⋅ne⋅s cherchent à appréhender par eux-mêmes les effets réels et pérennes de ce projet. À ce jour, plus de 4 700 personnes ont exprimé un avis négatif via une pétition(8). Informé⋅e⋅s du poids qui pèse encore sur d’autres villes, elles et ils s’interrogent sur le ratio coût/utilité sociale et bénéfices pour la population, avec une approche différente. Tout particulièrement en ce qui concerne la notion de coût de l’Expo 2025, qui ne devrait pas être mesuré sur le court terme et sous un angle financier uniquement. Bien d’autres critères devraient être pris en compte.

Des hectares de terres arables sollicités à l’aveugle

Dans le contexte actuel, en terme de foncier, le plateau de Saclay a déjà été fortement sollicité. On estime à 300 hectares la surface déjà consommée pour le projet de l’Université Paris-Saclay(9). Accueillir l’Expo 2025 signifierait sacrifier encore plus de terres cultivables. De plus, il est difficile de se faire une idée précise de la surface concernée. ExpoFrance 2025 annonce une trentaine d’hectares tandis que d’autres sources parlent 110 hectares(10). Quand on sait que la région Île-de-France dispose d’une autonomie alimentaire de 3 jours seulement et que les terres du plateau de Saclay sont réputées pour être très fertiles – et même parmi les meilleures de France –, il y a matière à se questionner. Outre la menace sur la sécurité alimentaire, différents aspects nous rappellent l’importance de sauvegarder les terres de l’urbanisation. En premier lieu, l’érosion des sols. Selon un rapport de l’ONU, les sols « sont une ressource limitée, ce qui signifie que leur perte et leur dégradation ne sont pas récupérables au cours d’une vie humaine ». Voilà qui est rassurant. De plus, n’oublions pas le rôle des sols dans le stockage du CO2, la prévention des inondations et la régulation du climat. Disposer d’îlots de fraîcheur et de zones de ruissellement des eaux de pluie constitue un levier non négligeable pour abaisser les températures par temps de canicule et prévenir les inondations, deux phénomènes de plus en plus fréquents. Préserver les sols, c’est préserver la qualité de vie des citoyen⋅ne⋅s à court, moyen et long termes. À moyen terme, accueillir l’Expo Universelle comporte également de nombreuses nuisances pour les riverain⋅ne⋅s. En effet, selon les prévisions d’ExpoFrance 2025, en 6 mois, de 45 à 60 millions de visiteurs dont 60 % d’étranger⋅ère⋅s seraient attendu⋅e⋅s. Cet afflux va immanquablement générer une augmentation sensible de la pollution induite par un accroissement du trafic routier et aérien. À cela s’ajoute la question de la pérennité des équipements bâtis pour l’événement. Fort de ses expériences passées, le BIE fait figurer cet aspect parmi ses critères de choix du pays hôte. Les promoteurs du Plateau de Saclay en font un de leurs meilleurs arguments : « Paris-Saclay avait gardé un atout dans sa manche, révélé fin mai […]. Son projet prévoit, sur un foncier maîtrisé par l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) Paris-Saclay, de reconvertir le site […] de l’Exposition universelle en « campus universel du XXIe siècle ». Il sera proposé aux pays y ayant investi de conserver leur pavillon afin d’y accueillir ensuite leurs étudiants, scientifiques ou entreprises intéressés par les opportunités du cluster »(11).

Ici le Grand Paris et l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) Paris-Saclay améliorent votre quotidien
Ici le Grand Paris et l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) Paris-Saclay améliorent votre quotidien

Ainsi, Michel Bournat, Président de la Communauté Paris-Saclay (CPS), se veut rassurant et évoque la reconversion des équipements à venir, comme des projets de logements pour des familles ou des étudiant⋅e⋅s(12). Mais, on peut se demander ce que va devenir la méga-sphère de 125 m de diamètre du village global par exemple ? Ou s’inquiéter, comme la Cour des Comptes(13), de l’attractivité réelle du cluster Paris-Saclay et de sa capacité à drainer de potentiel⋅le⋅s occupant⋅e⋅s pour ces infrastructures nouvelles. Enfin, accueillir l’Expo signifierait développer l’offre de transport et entérinerait le projet de métro aérien décrié par la population. On comprend donc que si le Plateau de Saclay est sélectionné, l’occupation ne sera pas temporaire mais bel et bien durable. Durable oui, mais sans doute pas dans le sens donné par les engagements promus par la France lors de la COP21.

La logique dans tout ça ?

Alors que l’urgence semble être de favoriser l’existence d’une agriculture péri-urbaine et que les expériences passées nous incitent à la prudence, la classe politique clame, quasi unanimement, les bienfaits de ce projet et n’hésite pas à évoquer une adhésion supposée du public.

L’Exposition Universelle est instrumentalisée afin de justifier des actions de reconversion du Plateau de Saclay sur des bases de rentabilité et de rationalité. C’est une construction mythique qui sert de moyen pour repenser l’urbanisme. L’Exposition Universelle est un instrument de propagande destiné à faire accepter aux citoyen⋅ne⋅s le bétonnage, la ligne aérienne 18, le Grand Paris, au profit d’une vision exclusivement marchande de la vie en société.

Sabrina Belbachir

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