Interview de Jean-Guy Greilsamer, militant à l’UJFP
Devant le siège mondial de l’entreprise Carrefour à Massy, Jean-Guy Greilsamer, membre de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) scande son discours. Ce samedi 27 janvier 2024, le militant de la lutte pour le peuple palestinien dénonce l’implication du géant de la distribution dans le conflit israélo-palestinien. Objectif principal : obtenir « l’égalité de tous les citoyennes et citoyens de la mer au Jourdain […] par le boycott de toutes les entreprises complices de la politique coloniale d’Israël ». Nous sommes allés à sa rencontre.
Avec l’UJFP, vous avez appelé à un rassemblement devant le siège de Carrefour à Massy. Pouvez-vous nous raconter le déroulé de la manifestation ?
Tout d’abord, nous avons lancé un appel en vue d’organiser un rassemblement devant le siège international de Carrefour. Celui-ci a été enregistré par la préfecture, et quand nous sommes arrivés devant le siège, on a vu que tout était bouclé par les policiers, il y avait même des policiers montés à cheval ! On a dû se mettre à côté du parvis central. Il y a certainement eu une demande venant directement du siège pour nous empêcher de s’y installer. Il faut quand même savoir que nous manifestions devant le siège international de l’entreprise. D’une certaine manière, cette présence policière rejoint les interdictions qu’il y avait eu précédemment contre les premières manifestations de solidarité avec la Palestine et toute la répression qui a suivi. Nous étions à peu près 200, et un certain nombre d’associations sont intervenues. J’ai moi-même fait un discours au nom de l’UJFP.
Pouvez-vous nous dire ce que fait Carrefour en Palestine et en quoi l’entreprise est-elle liée à l’État d’Israël ?
Carrefour est investi en Israël depuis un certain temps. En 2002 l’entreprise française a notamment signé un contrat avec la société israélienne Electra Consumer et sa filiale Yenot Bitan. Cela a permis à Carrefour d’ouvrir 150 magasins en Israël, y compris dans les colonies israéliennes illégales. D’ailleurs, il faut noter que 2022 était une année où la répression contre les Palestiniens était particulièrement intense. [NDLR : En 2022, 150 Palestiniens furent tués par les forces armées israéliennes, un bilan plus lourd encore que durant la répression de l’intifada de 2005.]
De plus, un évènement très important a eu lieu : Carrefour a décidé d’envoyer des colis aux soldats israéliens qui participent au génocide des Palestiniens à Gaza. À la suite de ça, on a décidé d’intensifier un peu plus notre campagne de boycott contre cette entreprise.
C’est-à-dire, quel type d’actions avez-vous mené ?
Eh bien, on demande à Carrefour de se retirer d’Israël. Il y a déjà eu des succès à ce sujet. Par exemple la société Orange a décidé de se retirer totalement des colonies en Cis-jordanie où elle avait des antennes. Pareil pour Veolia qui a revendu toutes les parts d’actions qu’elle détenait dans des sociétés israéliennes. Cela a été obtenu grâce aux mobilisations de soutien avec la Palestine, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Il faut distinguer notre comportement en tant que consommateur, et le choix des cibles pour les campagnes de boycott. Mais aujourd’hui, au vu de la répression que subissent les Palestiniens et du génocide en cours, il est clair que nous appelons au boycott total de tout ce qui vient d’Israël, issu des colonies ou non. Il y a également un autre cas de figure, celui des entreprises qui participent directement à la répression du peuple palestinien sans être israéliennes. Je pense par exemple à la société HP (Hewlett-Packard), qui certes n’est pas israélienne mais qui fait du fichage informatique des Palestiniens et qui participe à la logistique de l’armée.
On a aussi obtenu une victoire contre Puma. Cette entreprise était en effet l’équipementier de l’équipe nationale israélienne de football. Nous avons mis en place une campagne très importante contre la marque. Puma a finalement décidé d’arrêter le partenariat, et ce, avant même le 7 octobre.
Vous incluez également votre combat dans le cadre de la campagne BDS France (Boycott, Désinvestissement, Sanction), pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Oui on appelle en effet au boycott de plusieurs produits israéliens vendus en France comme les avocats, les mandarines, et tous les autres fruits et légumes cultivés là-bas. Il faut savoir qu’un certain nombre de ces produits sont volontairement mal étiquetés. Parfois certains produits sont présentés comme venant du Maroc alors qu’ils viennent en fait d’Israël.
Et donc c’est la même chose pour l’ensemble des produits Carrefour. C’est-à-dire que, même si l’entreprise se cache derrière plusieurs filiales comme Electra Consumer et Yenot Bitan, ce sont bien des produits estampillés Carrefour qui sont dans les étals de ces magasins implantés dans les colonies illégales de Cis-jordanie. Les sociétés franchisées permettent donc à Carrefour d’user de cet artifice juridique pour se cacher face aux protestations.
De manière plus personnelle, en quoi est-ce important pour vous de vous mobiliser contre Israël et sa politique coloniale ?
Je suis de famille, d’enfance et adolescence juives. Mon parcours est raconté dans le livre « Parcours de Juifs antisionistes en France » écrit par l’UJFP. Ma famille, juive alsacienne, a été, comme beaucoup de familles juives, victime du génocide nazi. Mon bilan du génocide nazi est « Plus jamais ça POUR TOUS » et pas seulement pour les Juifs. Pendant longtemps, je me suis intéressé à l’histoire juive sans éprouver le besoin d’adhérer à une association juive.
Mon point de vue a changé depuis l’accession au pouvoir de Ariel Sharon et le développement, au nom des Juifs du monde entier, d’une politique de plus en plus répressive contre le peuple autochtone palestinien. Cela m’a conduit à vouloir m’afficher en tant que Juif voulant contribuer à combattre cette politique. J’ai donc adhéré à l’UJFP vers 2003.
Aujourd’hui pour moi, et pour beaucoup d’autres Juifs dans le monde, le sionisme est le nom du colonialisme israélien. Un colonialisme de peuplement bien particulier qui conduit à la politique israélienne génocidaire et d’épuration ethnique d’aujourd’hui. Se déclarer antisioniste est non seulement un droit, mais un devoir. Le sionisme est non seulement catastrophique pour les Palestiniens, mais il attise aussi l’antisémitisme.
Propos recueillis le 9 avril 2024 par Gabriel Gadré