#1 – Entretien avec Damien de Feraudy, chargé de mission Le Ferry

Damien de Feraudy

Tu as été contacté au départ du projet du lieu de vie Le Ferry. Qu’est-ce qui t’a été demandé, et dans quel contexte cela s’est-il produit ?

Au départ, l’explication du projet a été assez courte. Le Maire, M. Lamy me dit :

« J’ai un boulot à vous proposer. Vous connaissez les friches culturelles ? »

« Euh, non, pas vraiment (je voyais de loin ce à quoi ça pouvait correspondre) ».

« C’est pas grave, vous irez en visiter à Lille. Je veux faire de l’ancienne école Jules Ferry une friche culturelle. Comment vous dire, un lieu pour les jeunes, où ma fille aurait pu fumer sa première cigarette. La culture en fil rouge, pas un équipement culturel classique. Un lieu qui développerait notamment de l’art numérique en lien avec la dynamique technologique du plateau de Saclay. Un lieu qui puisse aller capter des financements privés, du mécénat. Qui ne pèse pas trop sur les finances de la Ville. Un lieu évolutif, qui sortirait à terme de la régie directe. J’ai fait le choix de responsabiliser une personne plutôt qu’un service. C’est comme ça que ça peut marcher à mon sens. »

Peux-tu nous expliquer comment tu as décidé de mener à bien les missions qui t’ont été confiées ?

Euh, j’ai pris les choses les unes après les autres. J’avais dans l’idée de faire d’abord un lieu local, donc qui s’adresse à la population locale. Pas trop de moyens.

Donc l’idée était de faire du réseau et d’attirer un maximum de partenaires assos et services sur le projet. Donc à travers les événements organisés.

Et mixer dans les événements les disciplines artistiques, du jeu, de la bouffe et de l’animation… Un lieu où l’on vit. Un penchant pour la programmation en direction des jeunes (électro, hip-hop), mais pas que (cultures populaires : Caraïbes, ciné de plein air, et cultures plus patrimoniales : l’école). Puis en saison hivernale, de l’accueil de résidences.

Le projet s’est construit petit à petit en fonction des acteurs que j’ai pu intéresser (OMP, Zones d’Arts, Soif de Bitume, 6ème sens, L’Équipage, Le Submersible), des salariés (Lilian, Mike) et des artistes (Nosbé, Shlag Lab, Agathon, Fasto, Alban…).

Avec la liberté des pionniers qui ne durerait que jusqu’à ce que ça prenne de l’ampleur.

Après, on déroule la pelote au gré des dynamiques et opportunités. Des résidences permanentes, des projets, un collectif, la mixité des publics, l’art numérique.

Aujourd’hui, tu ne travailles plus sur le lieu. Quel avis as-tu sur ce qu’il s’y est passé et sur la situation actuelle ? Je sais que tu n’es pas prompt à parler de tes sentiments, mais es-tu fier ? Déçu ? Quels souvenirs et quelles sensations gardes-tu de cette période ?

J’ai kiffé ce projet et la manière dont ça s’est construit. Et la manière dont on a résisté. J’ai kiffé la liberté de mon positionnement. Un peu acrobatique certes, mais ça se tenait à peu près.

Bon, je pense qu’au final, ça n’a pas aidé de faire trop hors Mairie. Ça a aidé pour développer, mais pas pour sécuriser le projet. Après le changement politique, on n’est pas les seuls à avoir trinqué. C’est le jeu démocratique.

J’ai kiffé l’ambiance, l’énergie, la passion, la créativité, la sociabilité que le projet a permis de développer. Ça voulait dire qu’on répondait à une attente d’une partie de la population, des artistes et des acteurs locaux. Ça a prouvé que l’institution (au sens large) doit réinventer sa manière de concevoir son service public et ses process. La participation citoyenne, elle était là. Dans un cadre municipal. C’est cette ambition là qui me tenait à cœur, plus que le projet culturel en soi.

Tu es Palaisien depuis longtemps. Quel regard as-tu sur ces moments de conflit avec l’institution « Mairie » au long de ton histoire personnelle ?

Euh, j’ai toujours un peu kiffé faire chier l’autorité, sans être un cas soc’ non plus. En gardant une forme de raison.

Mais je n’ai pas passé mon temps à m’embrouiller avec l’institution. Je n’aime pas l’autoritarisme et le principe de crime de lèse-majesté. Faut savoir accepter le dénigrement.

J’ai toujours tenté de trouver une fenêtre pour agrandir le cadre trop étriqué qu’offre l’institution intrinsèquement et qui rend les choses contre-productives. J’ai toujours respecté le cadre de départ. Je ne suis ni un escroc, ni un suceur, en d’autres termes. J’essaie de tirer le maximum de la situation qui se présente à moi pour faire avancer le projet que je porte et auquel je crois.

Bref, je ne suis pas un vrai rebelle, ni un vrai soumis. J’aime les intersections, le lien entre des « cultures » différentes autour d’un projet commun. On est tous pareils et tous différents.

Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à partir ?

Je n’ai jamais eu à l’idée de rester trop longtemps dans un poste (3 à 5 ans). Après faut aller voir ailleurs. Ça enrichit. Mais ça dépend aussi du contexte.

Et le contexte était très relou. J’étais attaché à combattre jusqu’au bout pour que le lieu ne ferme pas. J’avais la sensation qu’on avait nos chances malgré tout. Il fallait de la patience. On avait de gros atouts. Et finalement assez peu de choses à nous reprocher. Il était hors de question que je parte sur un échec.

C’est surtout que je m’emmerdais prodigieusement au taff. Ça, j’ai un peu de mal.

À un moment, l’été dernier, je pensais que finalement, on s’épuiserait, les forces se délitaient. Donc, j’ai commencé à envisager de partir, à chercher du boulot ailleurs. Non sans avoir mis un coup de pied dans la fourmilière avant (la manif d’octobre).

Ensuite, les choses ont bougé dans le bon sens sur Le Ferry vis-à-vis de la Mairie. J’avais donc une fenêtre, un délai pour partir tout en arrachant le projet Le Ferry à la nouvelle Mairie (le projet co-construit), sans abandonner le navire en pleine tempête.

Voilà.

Propos recueillis par l’équipe du Petit ZPL

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