Lissage du cuir et maquillage longue tenue : LVMH refoulée de l’X

C’est en juillet 2021 qu’LVMH, la célèbre multinationale du luxe, annonce son projet « Gaia » dédié au « luxe durable et digital » qu’elle souhaite implanter sur le plateau de Saclay. En 2022, le groupe annonce le choix du terrain : ce sera sur le campus de l’Institut Polytechnique de Paris (IP-Paris). Pour l’École polytechnique, en difficulté pour boucler son budget, c’est la promesse de financement via un accord de partenariat de recherche. Pourtant, des voix s’élèvent contre le projet et dénoncent « une logique court-termiste » de l’école. Tout d’abord, sur la question du financement, le bénéfice pour l’IPP ne semble pas avéré. Ainsi, l’accord prévoyait que LVMH verse 2 M€/an pendant 5 ans à l’IPP dont la moitié seulement serait affectée au financement de sa recherche propre. Soit 1 M€/an, montant égal à ce que versent d’autres entreprises pour une chaire de recherche et sans condition d’installation sur le campus. D’autre part, le produit de la vente du terrain n’aurait pas profité à l’IP-Paris étant donné que l’École polytechnique a du céder ses terrains à l’ÉPAPS (Établissement d’Aménagement Paris-Saclay). Enfin, sur la question du partenariat scientifique, les sujets présentés lors des réunions d’information semblent bien éloignés du type de recherches menées dans les labos de l’école, comme par exemple “maquillage longue tenue” ou “lissage des imperfection du cuir”. Récemment, la multinationale a annoncé qu’elle renonçait à s’installer sur le plateau de Saclay. Pour mieux comprendre tout ça, Le Petit ZPL a interrogé Thomas Vézin, secrétaire général de l’association La Sphinx et membre du collectif « Polytechnique n’est pas à vendre ».

Enfin, sur la question du partenariat scientifique, les sujets présentés lors des réunions d’information semblent bien éloignés du type de recherches menées dans les labos de l’école, comme par exemple “maquillage longue tenue” ou “lissage des imperfection du cuir”. Nous avons interrogé Thomas Vézin, secrétaire général de l’association La Sphinx et membre du collectif « Polytechnique n’est pas à vendre ».

Le Petit ZPL (LPZ) – Qui sont les membres du collectif « Polytechnique n’est pas à vendre »? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous organiser ?

Thomas Vézin (TV)- Nous sommes des élèves et des anciens élèves de l’École polytechnique. Une bonne partie d’entre nous étions déjà mobilisés contre l’implantation de Total depuis 2019, et il nous a semblé logique de continuer la mobilisation contre le projet de LVMH, qui présente les mêmes failles dans une large mesure.

LPZ – Quelles actions avez-vous menées ?

TV – Nous entretenons le débat en communiquant régulièrement des informations exclusives sur le dossier auprès des élèves et des personnels. Nous avons également largement contribué à la médiatisation du dossier via notre site et notre tribune dans Le Monde le 8 septembre 2022.

LPZ – Parlez-nous de ce site …

TV – Le site gaia.polytechniquenestpasavendre.fr remplit trois fonctions assez différentes. Dans un premier temps, il nous permet de nous faire connaître auprès du grand public. Ensuite, il nous offre la possibilité de renseigner les personnes qui le souhaiteraient en leur communiquant des documents qui ne sont pas accessibles au public en raison de l’obstruction à laquelle s’adonne l’École polytechnique. Enfin, il nous permet d’alimenter les débats sur le campus en médiatisant notre argumentaire sous une forme synthétique.

LPZ – Récemment, un sondage interne a révélé que plus de 40 % des élèves étaient contre ce projet et que 25 % s’en remettaient à l’avis des professeurs. Un groupe d’élèves a également réalisé une vidéo qui a été projetée devant un amphi de 500 personnes. Que pouvez-vous dire de la mobilisation des élèves de l’école ?

TV – Le niveau de contestation des étudiants est assez fluctuant. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sont pas convaincus par le projet.

LPZ – Est-ce que des professeurs ou personnels administratifs ont rejoint la mobilisation ?

TV – Les personnels de l’École polytechnique se sont un peu mobilisés grâce à leurs représentants au Conseil d’Administration. Les représentants du personnel ont édité un sondage (une première) pour demander à leurs mandants leur avis sur le projet. Ce sondage a recueilli près de 55% d’avis défavorables. En conséquence, les élus se sont opposés au projet lors de son examen au CA de novembre 2022. D’autres instances consultatives se sont saisies du dossier, comme le Conseil Académique, qui a rendu un avis assez défavorable en septembre 2022 (consultable sur notre site).

LPZ – Selon l’école, la consultation a été menée dans de bonnes conditions, partagez-vous cette vision ?

TV – La consultation a surtout été faite pendant l’été, entre juillet et septembre 2022, à l’heure où la plupart des étudiants et des personnels étaient en vacances. Nous suivons l’évolution du projet présenté par LVMH depuis le tout début, et nous constatons qu’il n’a été que très peu modifié lors de cette « consultation ». D’un autre coté, l’École polytechnique entretient sciemment la confusion sur le dossier en refusant de nous communiquer des documents. Nous avons saisi la Commission d’Accès au Documents Administratifs (CADA) plusieurs fois, elle nous a toujours donné raison, mais l’École attend que nous portions plainte au tribunal administratif avant de nous fournir les documents, ce qui prend des mois voire des années.

LPZ -Dans votre communiqué de presse publié suite à l’annonce de l’abandon du projet par LVMH, il est fait référence à deux recours juridiques, pourriez-vous nous en dire plus ?

TV – Les recours que nous avons déposés n’ont pas encore été jugés car ils sont très récents (09/01). Ils portaient sur les délibérations de l’X et l’Institut Polytechnique de Paris validant respectivement le droit de LVMH à installer son bâtiment, et le partenariat scientifique avec LVMH. En effet, le développement du partenariat scientifique (contenant une part de mécénat) y était conditionné à l’acceptation du projet immobilier, ce qui nous semble être une contrepartie inacceptable pour du mécénat, et qui entretient un dangereux mélange des genres.

LPZ -Selon vous, dans quelle mesure ces recours ont participé à la décision de LVMH de renoncer à son projet sur le plateau de Saclay ?

TV – Comme vous pouvez le constater, la lettre de Bernard Arnault annonçant le retrait du projet date du 13/01, soit quelques jours après nos recours. Mais je ne sais pas dans quelle mesure les recours ont pu jouer dans leur décision.

LPZ -Même après cet abandon par LVMH, vous déclarez rester très mobilisés sur le sujet. Vous avez notamment publié une note où vous envisagez quatre scénarios pour l’aménagement des parcelles situées à l’est du campus de l’IP-Paris. Dans ce document, vous évoquez la nécessaire rétrocession des terrains par l’EPAPS, pourquoi ?

TV – À notre sens, la rétrocession des terrains est nécessaire pour assurer que l’utilisation de ces terrains se fera en accord avec les besoins de l’Institut Polytechnique de Paris. Brader les quelques rares terrains qui seront certainement utiles à l’Institut pour son développement immobilier dans les prochaines années serait un non-sens.

LPZ – Le projet de LVMH fait suite au projet Total – qui avait été mis en déroute par l’opposition des élèves – et au projet de bâtiment Patrick Drahi bien implanté sur le campus. D’abord, comment expliquez-vous la multiplication des partenariats de l’école avec des entreprises privées et quel regard portez-vous sur ce type de rapprochements ?

TV – L’École polytechnique cherche à augmenter la part de ses fonds propres afin de pallier à un désinvestissement chronique de l’État. Dans ce contexte elle cherche à nouer des partenariats avec des acteurs privés, ce qui n’est pas toujours un problème. Dans le cas du bâtiment Patrick Drahi, il s’agit d’une opération de mécénat : Patrick Drahi a « offert » ce bâtiment à l’École, et n’a pas de droit de regard particulier sur ce qu’il s’y passe. Pour les projets de Total et de LVMH, c’est très différent. LVMH souhaitait acheter une parcelle du campus, et aurait ensuite été libre d’y faire ce qu’il lui chantait pour les décennies à venir. Les terrains non construits sur le campus sont rares, ils ne doivent pas être bradés au premier venu sous prétexte qu’il faut urgemment trouver quelques millions d’euros pour boucler le budget 2023.

LPZ – On peut imaginer que ce ne sera pas le dernier projet de ce type, qu’est-ce qui pourrait être fait pour stopper ce type de partenariats ?

TV – La question n’est pas tant de stopper les partenariats que de mieux les encadrer. Dans un contexte où l’État subventionne de moins en moins l’enseignement supérieur, les écoles sont obligées de trouver des fonds propres plus importants. Ce n’est pas toujours un problème, mais il faut que les contrats soient avantageux pour les deux parties. Dans le cas de LVMH, les contreparties n’étaient pas à la hauteur.

LPZ -Vous désignez également « la transparence » comme condition de réussite des futurs projets de l’IP-Paris, pour quelles raisons ?
Venez fêter !
TV – Sur la question de la transparence, nous voyons bien que l’École refuse de nous communiquer les documents administratifs tant qu’ils n’y sont pas forcés par le tribunal administratif. Cette stratégie ne peut pas fonctionner sur le long terme. Elle ne fait qu’entretenir la défiance envers les institutions, et attise la colère des élèves et des personnels. Tant que cette situation perdurera, j’ai bien peur que la direction ne peine à convaincre les usagers du campus du bien-fondé de ses projets – quels qu’ils soient.

À lire également :