En plein hiver, le Maire de Palaiseau expulse un bidonville dans de « bonnes conditions » …

expulsion site Marnières

… Ou le gentleman du déménagement

Il faut la lire pour la croire, la lettre adressée par Grégoire De Lasteyrie aux riverains le 12 janvier. Il s’y félicite de l’expulsion en plein hiver des occupants du bidonville situé rue des Marnières, à Palaiseau. Le maire épuise tout le champ lexical de l’illicite et de la dangerosité pour justifier son geste : « occupants sans titre », « campement illicite », « péril grave et imminent », « branchements électriques illicites », « utilisation frauduleuse de bouches à incendie », « amoncellement de déchets » et « déversements des eaux souillés » (1). Ce vocabulaire permet de criminaliser les habitants, de les rendre responsables des risques et de légitimer une expulsion pendant la trêve hivernale.

Dans un communiqué publié le 15 janvier, l’association Intermèdes Robinson qui travaille depuis de nombreuses années auprès de familles vivant en bidonville, analyse tout autrement la situation. Concernant le danger, elle écrit : « des systèmes électriques de fortune se trouvent dans tous les bidonvilles ; et c’est un droit pour les occupants sans titre de demander un raccordement électrique à une commune ». À propos de la responsabilité du risque, elle ajoute : « certains risques existent parce que les autorités refusent de remplir les obligations qui sont les leurs (sécurisation incendie, raccordement à l’eau potable, ramassage des ordures ménagères…) ». Aux Marnières, à aucun moment la mairie de Palaiseau n’a agi en faveur du raccordement électrique et de l’accès à l’eau potable de ces familles très vulnérables.

Qu’en est-il du respect de la trêve hivernale ?

Dans le Parisien, l’élu expulseur affirme que le respect de cette trêve ne s’appliquerait « pas à l’occupation illicite d’un terrain privé ». Cette interprétation de la loi est-elle aussi évidente ? Manifestement non.

L’association Intermèdes Robinson rappelle dans son communiqué que la trêve hivernale peut s’appliquer aux bidonvilles depuis 2017. En effet, la loi égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 permet aux personnes vivant dans des bidonvilles, tentes et abris de bénéficier de la protection de la trêve hivernale (2), au même titre que les locataires en situation d’impayés de loyer, et ceci pour corriger les effets inéquitables des mesures antérieures (3). Dans ce domaine, il est fréquent que les associations qui s’investissent auprès des personnes vivant en bidonville soient beaucoup mieux informées du respect des droits humains que les élus locaux, généralement prompts à expulser au plus vite.

Un indice fort penche en faveur de l’interprétation d’Intermèdes Robinson : Lasteyrie a utilisé un arrêté de mise en péril imminent, ce qui permet d’expulser au plus vite sans passer par la préfecture ou la justice… Il s’agit donc d’un choix politique : plutôt que de faire valoir les droits favorables à la protection et à la sécurité des occupants (droit à l’eau potable, droit au raccordement électrique provisoire) et de chercher des formes de résorption par le haut (sollicitations d’aides européennes pour l’inclusion des Rroms, aides et accompagnement à l’insertion professionnelle, accès à la santé, dispositifs d’hébergement et de relogement), l’élu qui prend « ses responsabilités » a utilisé le droit d’exclure au plus vite plutôt que les moyens d’inclure progressivement. « Nous pouvons nous satisfaire que cette intervention se soit déroulée dans de bonnes conditions tant pour les riverains que pour les occupants », écrit-il (1). On imagine mal les familles expulsées partager sa satisfaction.

Lasteyrie, gentleman déménageur

Indigne d’un point de vue éthique, contestable d’un point de vue juridique, cynique sur le fond comme sur la forme, la décision prise par le gentleman déménageur se conclue par des « considérations distinguées » en direction des riverains… Imbus de fausse bonne conscience, il déclare au Parisien : « Nous avons offert deux nuitées à l’hôtel à trois familles avec des enfants en bas âge, ce qui n’était d’ailleurs pas obligatoire » (4). Quelle générosité, on lui offrirait bien en échange trois nuitées en bidonville pour restaurer son empathie.

Lettre aux riverainsHasard malencontreux du calendrier, dans le « Réveil Palaisien », la lettre hebdomadaire adressée par Lasteyrie à ses administrés le 17 janvier, contient une hospitalière invitation culturelle : « Samedi 29 janvier à 20h45, des notes de flamenco résonneront au théâtre de la Passerelle lors du spectacle de danse “Tzigane !” : une véritable invitation au voyage, dans laquelle les artistes ont décidé de réinventer les idées reçues sur ce peuple nomade… ». On applaudit ?

Belle et heureuse année 2022

(1) Lettre à l’attention des riverains des abords de la rue des Marnières, Grégoire de Lasteyrie, 12 janvier 2022
(2) (LOI n° 2017-86)
(3) Voir à ce sujet la note sur les droits des habitants de terrain en procédure d’expulsion : https://www.romeurope.org/note-droits-habitants-de-terrain-procedure-dexpulsion/
(4) « Palaiseau : face au risque d’incendie et aux «inquiétudes» des voisins, le maire fait évacuer un bidonville rom » – Le Parisien – 12 janvier 2022
https://www.leparisien.fr/essonne-91/palaiseau-face-au-risque-dincendie-et-aux-inquietudes-des-voisins-le-maire-fait-evacuer-un-bidonville-rom-12-01-2022-AXJVCPOHEBEZDATM5FKUG2MFTY.php

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