#11 – J’espère que tu as honte

Quand elle dort c'est non

Nous avons reçu ce témoignage d’une agression sexuelle commise à Palaiseau. Nous le publions avec l’accord de l’autrice du texte.

Attention : ce texte comporte la description d’une agression sexuelle.

Nous le publions en soutien de la victime.

Nous avons échangé avec l’agresseur qui reconnaît la véracité des faits

L’équipe du Petit ZPL


L’été dernier, j’ai été invitée à la fête d’un très bon ami, à Palaiseau. Appelons-le P.

Je me suis rendue à cette soirée dans laquelle je connaissais plusieurs personnes. J’ai beaucoup bu. J’ai flirté, j’ai dansé, j’ai encore bu. J’ai fini par m’allonger dans une chambre vide. Je me souviens des visages plus ou moins connus qui défilaient, me demandaient si j’allais bien, des inconnus qui me dévisageaient. La soirée était ouverte à tous, et brassait peut-être une centaine de personnes. Et je ne me sentais pas en sécurité de m’endormir dans une pièce dans laquelle n’importe qui pouvait entrer.
J’ai reçu un SMS de P., ivre mort, que M., sa copine, avait couché dans sa chambre. Il me demandait si j’avais du feu, et me disait de venir. J’ai trouvé l’énergie de me lever et de les rejoindre tous les deux dans cette chambre à l’étage, partie de la maison interdite au public. Je me disais que quitte à m’endormir quelque part, autant se mettre en sécurité.
Je me souviens d’être entrée, d’avoir discuté quelques minutes avec eux deux, avant de m’écrouler sur le lit et de m’endormir. Il était 2h30 du matin.

Quand je me suis réveillée, la lumière de la chambre était éteinte, j’étais dans l’exacte même position dans laquelle je m’étais endormie : sur le ventre. J’avais encore mes chaussures, mes bijoux et mes habits : un short et un débardeur. Sous l’effet de l’alcool et de la fatigue, je n’ai pas tout de suite compris ce qui se passait : quelqu’un était au-dessus de moi, collé à moi, en train de toucher chaque partie de mon corps à laquelle il avait accès.
P. écartait mes jambes pour pouvoir toucher mon sexe, passait ses mains sous mon débardeur et essayait de toucher mes seins au-dessus de mon soutien-gorge. Il pressait son sexe contre mes fesses, donnait des coups de reins, de plus en plus fort. Il avait gardé ses vêtements et n’avait pas enlevé les miens, mais je pouvais sentir son érection. J’entendais ses gémissements de plaisir, car sa bouche était juste au niveau de mon oreille, je pouvais sentir chaque coup de reins quand il se frottait contre moi. C’était mon ami. Complètement ivre. Qui continuait de gémir son désir à mon oreille en prononçant mon prénom pendant qu’il passait progressivement ses mains sous mon short.

Sur le moment, j’ai été incapable de réagir. La seule solution qui s’imposait était de faire semblant de continuer à dormir et d’attendre que ça passe. Rétrospectivement je pense que je n’étais pas en état d’assumer ce qui était en train de se passer : assumer que mon corps était en train de provoquer une situation aussi glauque et malsaine.
Des pas se sont fait entendre dans l’escalier et quelqu’un est entré dans la chambre, et a allumé la lumière. Il a bondi sur le côté, et s’est allongé en faisant semblant de dormir, sans rien dire. La personne n’est pas restée, elle a éteint la lumière et a refermé la porte. Il est revenu à la charge. Doucement d’abord, en effleurant mes bras et mon cou, puis en se remettant de nouveau sur moi. Un moment plus tard, quelqu’un est de nouveau entré, même schéma. Et moi j’étais toujours incapable de faire un geste, ou de dire un mot.

Pour la troisième fois, une fille est entrée – appelons-la J. – il a fait semblant de dormir, elle a allumé la lumière et s’est avancée vers le lit. Elle a commencé par le « réveiller » et a demandé mon prénom, si je dormais, elle lui a dit que la soirée était finie et que je devais partir. Il s’est « rendormi ». Elle m’a « réveillée », m’a redit la même chose qu’elle venait de lui dire. Je me suis levée et je suis partie. Il continuait de faire semblant de dormir. Probablement trop honteux pour me regarder.
Il était 5h du matin quand j’ai regardé mon téléphone. Je ne pense pas avoir été éveillée plus de quinze minutes. Et je ne sais pas quand il a commencé à me toucher, mais j’ai été endormie près de deux heures et demie à côté de lui.
J’avais eu le temps de raconter à une autre amie ce qu’il s’était passé en sortant de la soirée, juste après, mon amie avait répété ce que j’avais dit à M.. L’information était remontée jusqu’à P. et il m’a envoyé un message le lendemain.
« Coucou, on peut s’appeler si tu veux bien ? Je n’ai presque aucun souvenir de la soirée, mais on m’a raconté des trucs pas cools ». Le coup de l’amnésie m’a tellement mise en colère que j’ai tout déballé. J’ai qualifié ce qu’il m’avait fait : une agression sexuelle, je lui ai exprimé à quel point il me dégoûtait et à quel point il devrait avoir honte. Je lui ai assuré que moi je me souvenais très bien de ce qu’il s’était passé et qu’il était hors de question qu’il s’en sorte en jouant cette carte-là.

Il n’a pas répondu sur le moment, mais m’a envoyé un message quelques jours plus tard, en me disant à quel point il était désolé, à quel point il était un monstre, à quel point il ne s’était pas rendu compte qu’il m’agressait : il pensait que j’étais dans une situation de « consentement non assumé ». Il était convaincu que j’avais envie de lui, mais que j’avais choisi de ne pas exprimer ce consentement. Aujourd’hui, un homme peut se penser irrésistible au point de ne pas faire la différence entre consentement et agression ?

En 2020, un homme intelligent, éduqué aux questions de consentement sexuel, se revendiquant allié féministe, ne saurait pas différencier une fille ivre morte, endormie, immobile pendant plusieurs heures, d’une fille consentante ?
L’ironie réside aussi dans le fait qu’il avait, avant la soirée, fait une déclaration publique sur les réseaux sociaux à propos d’éventuels comportements déplacés, de nature sexiste ou sexuelle, de la part des hommes invités, et en précisant qu’aucun écart ne serait toléré.

Le pire n’a pas été l’agression en elle-même, mais la réaction des quelques amis communs qui ont été informés de cet évènement.
Notamment sa copine à lui, M., – relation libre – qui m’a très clairement expliqué son point de vue. Le lendemain de la fête – elle m’a appelée pour qu’on se voie, suite au message que j’avais envoyé à P. – elle m’a assuré que quand je suis montée les rejoindre, ils étaient l’un comme l’autre convaincus que je venais pour passer un moment sexuel avec lui. Elle m’a expliqué que la raison pour laquelle il s’était si vivement écarté de moi quand d’autres personnes rentraient dans la chambre, c’était parce qu’il n’assumait pas d’être en train de « faire des trucs » avec une autre fille alors qu’elle était, elle, dans la maison, et non parce qu’il savait que ce qu’il était en train de faire était une agression.
Elle était terriblement désolée que ce soit arrivé, et c’est même elle qui avait envoyé J. me « réveiller » et mettre fin au cauchemar, parce qu’elle suspectait qu’il se passait quelque chose d’anormal dans cette chambre. Mais elle a quand même tenu à préciser qu’il «n’y a pas mort d’homme », que personne n’avait été violé. Et surtout, surtout, que vraiment « il ne s’était pas rendu compte de ce qu’il faisait ».

Nous nous sommes revues, elle et moi, trois mois plus tard, à sa demande à elle. Elle était en colère et ne comprenait pourquoi je ne « lâchais pas l’affaire ». Elle a également tenté de m’expliquer en quoi mon comportement ces dernières années avait amené P. à penser que je montais dans cette chambre, à la fête, pour passer un moment intime avec lui.

« Tu fais toujours un peu l’innocente en mode «Ah non, mais c’est juste un ami», tu n’assumes jamais, mais tu aguiches toujours. Moi j’ai toujours eu un problème avec ça, ta manière de chercher, de jouer, mais ensuite quand on te confronte tu dis que tu ne comprends pas et que c’est toujours «platonique». »

Elle a minimisé et banalisé l’agression : « Je ne comprends pas pourquoi tu ne laisses pas passer, pourquoi tu ne passes pas à autre chose, il y a des trucs pires… »

« J’ai une amie à qui la même chose est arrivée, et aujourd’hui elle est toujours pote avec le mec… alors pourquoi toi… ? »

« L’alcool n’excuse pas tout, je sais, mais quand même : il avait vraiment beaucoup bu, je ne l’ai jamais vu comme ça »

« Moi j’ai des doutes sur ta sincérité dans cette histoire, par exemple le fait que J. ait mis autant de temps à te « réveiller » comme si tu n’assumais pas le fait que tu venais de faire des bails avec mon copain, et tu as même demandé si c’était moi qui l’envoyais. Ça me fait penser que tu étais consentante, mais que tu n’assumais pas quand mon amie est venue te réveiller »

« C’est pas facile pour moi non plus, sache-le »

« Franchement, quel serait l’intérêt pour lui de t’agresser consciemment, alors que s’il avait envie de sexe, j’étais juste en bas, dans la même maison ? »

J’ai essayé, lors de cette rencontre, de lui faire entendre raison : elle refusait, et refuse encore de croire qu’il était parfaitement conscient du fait que j’étais endormie. Voici un florilège de ce qu’elle a pu me dire :

— Moi : Je dormais. Je ne bougeais pas, je ne parlais pas, je n’émettais aucun son. Dans quel monde a-t-il pu penser que j’étais éveillée, et que j’en avais envie ? Il est éduqué sur la question, il se dit féministe, à quel moment a-t-il pu penser que j’étais éveillée ?
— M. : Tu sais, ça peut arriver de mal interpréter…
— Moi : Il n’y avait rien à interpréter, je dormais, je ne bougeais pas, je ne parlais pas.
— M. : Il ne s’est pas rendu compte, il avait énormément bu.

— Moi : Tu ne trouves pas ça étrange que le lendemain il m’ait dit en premier « je n’ai quasiment aucun souvenir d’hier soir », et qu’ensuite quand je le confronte il change de discours en me disant qu’il pensait que j’étais éveillée et consentante, et qu’il ne s’est pas rendu compte que je dormais ?
— M. : Tu sais, on peut oublier le lendemain d’une soirée, et ensuite il y a des trucs qui te reviennent petit à petit.

— Moi : Tu ne trouves pas ça étrange que quand J. soit venue me « réveiller », il a fait semblant de dormir aussi ? S’il était dans une posture de pensée selon laquelle il pensait que j’étais éveillée et consentante, et qu’on venait de faire des bails consentis, pourquoi a-t-il fait semblant de dormir ? Pourquoi a-t-il fait semblant de se rendormir quand elle m’a « réveillée », pour ne pas avoir à croiser mon regard ?
— M. : Je ne sais pas, chacun réagit différemment, je ne suis pas dans sa tête.

En 2020, quand un homme d’un groupe d’amis agresse une fille du même groupe d’amis, il est plus facile de remettre en doute le discours de la femme, que d’accepter l’idée que son (petit) ami est un agresseur qui avait conscience qu’il agressait au moment où ça se passait.
Il est plus facile de slut-shamer*, de minimiser, de chercher des excuses, que d’assumer l’idée que quelqu’un qu’on aime est un agresseur.
« On connaît tous des victimes, mais pas un agresseur » je suppose que cette phrase devrait être reformulée « On trouvera toutes les excuses du monde à quelqu’un qu’on aime, pour ne pas avoir à le voir comme le pire agresseur possible » en l’occurrence, leur excuse, servie sur un plateau, sa parole contre la mienne : « Je ne savais pas que j’agressais. »

Et bien moi je sais que tu mens quand tu dis ça.
Tu peux raconter ce que tu veux, à qui tu veux. Je m’en fous. Je sais ce que tu m’as fait, tu sais ce que tu m’as fait. J’espère que tu as honte de toi.

(1) Slut-shaming : attitude consistant à stigmatiser, culpabiliser ou humilier toute femme dont l’attitude serait jugée provocante ou trop ouvertement sexuelle.
Dans ce cas précis, partir du principe que les comportements de flirt de la victime, précédant l’agression, ont joué un rôle en poussant l’agresseur à agir.

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