#4 – Épie quoi encore ?

Vigilance (La Kanine)
À Palaiseau, vont être installées des caméras dans l’espace public. Vidéo-protection ou vidéo-surveillance ?

D’emblée, à l’heure de les nommer, c’est confus : caméras de vidéo-protection ? Vidéo-surveillance ? Étant donné qu’on préfère être protégé-e que surveillé-e, on se jette sur la « vidéo-protection ». Et là, de suite, on a du mal à visualiser d’énormes Robocops, embusqués, prêts à bondir pour vous protéger. Déçu-e, on se tourne alors vers le second terme « vidéo-surveillance ». Les caméras seraient plutôt des outils de collecte d’images utiles à la collectivité en cas d’enquête sur une agression, un vol, un braquage et que sais-je encore !

Palaiseau, une ville paisible

Oui, que sais-je encore ? Parce que moi, habitant Palaiseau depuis plus de vingt ans, je n’ai pas le sentiment que ma ville soit une zone dangereuse. Et les chiffres le confirment(1) : les violences sont très faibles par rapport à l’Essonne, l’Île-de-France et même à l’échelle de la France. Les vols et dégradations, principaux crimes enregistrés, sont moins nombreux qu’en IDF, tandis que les violences aux personnes sont en-deçà de la moyenne à l’échelle de la France.

Quels bénéfices à la personne…

Il s’agit, dans le cas de Palaiseau, de tenter d’élucider un très petit nombre de délits ou d’en dissuader d’éventuels auteurs. Un p’tit tour en Grande-Bretagne, pays précurseur depuis 20 ans et le mieux équipé en matière de caméras (entre 4 et 6 millions de caméras pour un coût d’environ 352 millions d’euros)(2), où l’efficacité de la vidéo-surveillance est largement questionnée et le dispositif progressivement abandonné avec un effondrement des budgets (parfois divisés par 4,5)(3). Scotland Yard, dans le rapport officiel Viido(4), remet en question l’effet dissuasif des caméras. Quant à leur rôle dans l’élucidation, c’est bien décevant : seulement 3 % des vols à Londres par exemple ! Et que dire de Nice, ville la plus vidéo-surveillée de France (1 caméra pour 272 habitants)(5), ce qui n’a pas empêché l’attentat terroriste du 14 juillet dernier.

Pour quel investissement ?

Malgré toutes ces informations concluantes, à Palaiseau l’équipe municipale fonce. Côté investissement, peu de données chiffrées sont avancées par nos élus. Au budget primitif 2016, 150 000 € sont dédiés au démarrage de l’opération(6). Ailleurs, on apprend qu’une caméra coûte entre 5 000 et 15 000 €(7) (l’idée est d’en implanter 40 d’ici 2020). Ces chiffres, difficiles à trouver, ne nous apprennent que peu de choses. S’agit-il du prix d’achat ? Avec ou sans maintenance ? Tous les coûts sont-ils inclus ? Si cette somme couvre 2016, qu’en est-il à moyen et long termes ?

Alors pourquoi investir dans cette technologie ? Même si les fonds proviennent de subventions de l’État (Contrat de Territoire), n’est-ce pas, au vu de l’inefficacité avérée de ces installations, du gaspillage ? Notre maire fait-il partie des « élus locaux [qui] négligent dans 90 % des cas de mesurer l’impact de leur investissement »(8) ?

Une équipe municipale apeurée…

En réalité, ces caméras révèlent la peur irrationnelle de nos élus et ne sont qu’un des axes d’une stratégie de la peur déployée par la majorité municipale. En dépit des statistiques, le maire et ses élus fantasment, ont peur à Palaiseau, mais ce qui est pire s’emploient à ce que vous aussi ayez peur !

Développer, chez les Palaisiens, le sentiment de peur, d’insécurité, instrumentaliser le mal-être ambiant, afin de distiller une idéologie sécuritaire instaurant le repli sur soi, sont les objectifs poursuivis. C’est une guerre psychologique. Il s’agit de s’immiscer dans les pensées, de suggérer des relations de cause à effet en saturant l’espace public de signaux ostensibles et agressifs. Par exemple, la présence de caméras vous signale, implicitement, un danger potentiel. Et, outre les caméras, divers outils sont mis sur la table.

« En quête de manipulation… »

Le meilleur exemple, à ce titre, concerne l’enquête de victimation(9) dans le cadre du Diagnostic Local de Sécurité. Cette enquête est destinée à recueillir le « sentiment des Palaisiens sur la sécurité dans leur ville ». Ce type de questionnaire instaure de fait un climat de méfiance et de peur. Dans sa lettre ouverte(10), Palaiseau Terre Citoyenne(11) exprime son scepticisme sur les objectifs et le sérieux de cette enquête, s’indigne de l’orientation des questions qui suggèrent des réponses auxquelles les Palaisiens n’auraient pas spontanément pensé, les sous-entendus envers certaines populations (jeunes et marginaux) et regrette, plus globalement, le traitement inhumain de la question sécuritaire. Les réserves exprimées sur la méthodologie nous mènent à douter fortement de la qualité et du degré de fiabilité des résultats non publiés de cette consultation. Et nous interroge aussi sur la sincérité de ses commanditaires. Encore du gaspillage !

La fête des voisins ?

Troisième axe de cette stratégie de la peur, les « habitants vigilants et solidaires ». Ces habitants auront pour rôle de « recueillir le signalement de faits inhabituels repérés par eux ou leurs voisins, avant de les transmettre aux forces de police »(12). Un protocole sera signé entre les services de l’État, la commune et les habitants afin de fixer les modalités de cette collaboration. Quel est le rôle exact de ces habitants ? Seront-ils encadrés ? Formés ? Par qui ? Est-il raisonnable de laisser à l’appréciation personnelle d’une poignée d’individus de juger de ce qui est « inhabituel et anormal » ? Qu’est-ce qu’un fait « inhabituel et anormal » ? De plus, qui pourrait avoir envie d’exercer un tel rôle ?

Et comme nous, à force, on commence aussi à avoir peur, on paranoïe et on se dit que le message, c’est qu’être citoyen ce serait se méfier de ce qui est « inhabituel », en avoir peur, en juger sans discernement et à l’emporte-pièce. Être solidaire, ce serait épier et dénoncer !

Une sous–police nationale

Fer de lance de cette stratégie de la peur, une Police Municipale bien lotie. En effet, l’effectif de la PM a doublé (16 agents dont huit assermentés)(13), une brigade VTT créée, l’équipement modernisé et les missions étendues. Sept de ces agents seront bientôt armés (voir article : Le cadeau du maire aux policiers de ZPL). À ce stade, on ne peut plus parler d’une police de proximité. On assiste à la création d’une « sous-police nationale ». On ne peut que s’en inquiéter. La sécurité n’est elle pas une fonction régalienne de l’État ? À l’heure où les communes déplorent le désengagement de l’État, pourquoi s’y substituer financièrement et si volontairement ? Qu’en est-il de l’égalité des citoyens français si leur sécurité devient une affaire locale ? Enfin, que penser d’une force policière armée aux ordres d’un seul individu : le/la maire-sse ?

Une municipalité à court d’idées !

La municipalité actuelle espère enrayer la (faible) délinquance à Palaiseau en s’attaquant à ses conséquences réelles ou fantasmées grâce à des outils inadaptés. Au contraire, un traitement social de la question permettrait d’apporter des réponses appropriées à des faits observables et à leurs causes avérées et serait porteur de propositions réalistes. Encourager une vraie solidarité entre les Palaisiens, inciter les habitants à s’approprier physiquement l’espace public, multiplier les occasions de rencontres et d’échanges, les espaces de convivialité, les lieux de création et de partage et d’expérimentation sociale, créer des réseaux, ça, oui, ça peut faire baisser le nombre d’incivilités et de violences gratuites plutôt que démanteler le peu qu’il y a et surtout plutôt que de nous vidéo-surveiller, victimiser, vigiliser et policemunicipaliser !

Par S.B.
Illu : La Kanine

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