Ces établissements servent à enfermer les personnes ne possédant pas de papiers en règle, pour une durée maximale de 45 jours. Pendant cette période, l’administration s’emploie corps et âme à renvoyer les gens dans leur pays d’origine, avec à la clé une obligation de quitter le territoire français(1). À l’évocation de l’existence de ces lieux d’enfermement et de la situation déplorable des personnes retenues, il est fréquent d’entendre : « Si ces gens sont enfermés là, c’est sûrement mérité, ils ont dû faire des « conneries » » ou « Ils ne sont pas là pour rien ! ».
En fait, si… Ces gens sont là « pour rien » !
Membre d’une association qui rend visite aux personnes dans les CRA(2), j’ai pu observer que la majeure partie des retenu⋅e⋅s n’ont commis qu’une seule infraction(3) : celle de ne pas avoir de papiers en règle. En effet, les personnes retenues en CRA que j’ai rencontrées sont des gens qui fuient la guerre, l’oppression et la misère, et qui en venant en France ne veulent pas faire de vagues, cherchent à s’insérer socialement et professionnellement. Des gens qui, en gros, veulent travailler tranquillement et vivre en paix.
Le nombre important de contrôles effectués à la Gare du Nord tôt le matin, prétendument pour arrêter les dealers(4), est un bon exemple de cette volonté d’enfermer ces gens qui ne demandent rien à part avoir le droit de gagner leur vie (on croise plus de travailleurs⋅ses que de dealers à 8 heures du matin). Cette terre d’accueil qu’est la France, là où les politiques vantent à tout va les vertus du travail, ne récompense pourtant pas cette volonté laborieuse. Cela témoigne aussi d’un racisme institutionnel, d’une amalgamation de la part des forces de police entre trafiquant⋅e⋅s et étrangers⋅ères : en effet, on voit rarement des Blancs⋅ches se faire contrôler(5).
Pour illustrer voici l’histoire de M. ***, rencontré au CRA de Palaiseau. Originaire d’Afrique centrale, craignant d’être victime d’exactions de la part des autorités de son pays en raison de son engagement politique, il n’avait d’autres choix que de le quitter sous une fausse identité pour se réfugier en France. Arrivé ici, il fait preuve d’une « grande volonté d’intégration », comme on dit. Il s’insère dans le monde du travail et la vie sociale. Il trouve un job, se fait des ami⋅e⋅s et pratique le judo dans un club à haut niveau. Anxieux de sa situation irrégulière, par souci de légalisme, par honnêteté, il se rend à la préfecture pour demander l’asile en France sous sa véritable identité. Mal lui en a pris. En effet, M. *** a été orienté vers un guichet pour obtenir des renseignements, mais ce n’était qu’un piège : au lieu d’obtenir des informations, c’est une place en rétention que l’administration lui a offert, le temps d’organiser son départ. Il est sous le coup d’une procédure Dublin(6) qui vise à le renvoyer au Portugal sous sa fausse identité.
Moralité, l’honnêteté ne paie pas…
Ainsi l’honnêteté de M. *** l’a plongé dans le labyrinthe administratif européen, avant une expulsion vers le pays qu’il cherche à tout prix à fuir.
En conclusion, non seulement l’État traque les quidams qui font preuve d’intégration et qui participent activement à notre chère économie nationale, mais même celles et ceux qui montrent une particulière probité sont victimes de la politique d’immigration française. Quant aux personnes qui condamnent d’office les retenu⋅e⋅s en faisant des hypothèses sur de potentiels délits commis ou sur une réclusion punitive méritée, ils⋅elles auraient probablement tout intérêt à se renseigner sur les CRA, à venir voir de leurs propres yeux la réalité des retenu⋅e⋅s via l’Observatoire, par exemple, et éviter les suppositions hasardeuses.
ANT
(2) L’Observatoire citoyen du centre de rétention pour étrangers de Palaiseau. Pour en savoir plus : http://observatoirecrapal.jimdo.com
(3) Certain⋅e⋅s sont victimes de la double peine : après avoir purgé leur peine pour un délit commis, ils⋅elles se retrouvent en CRA directement à leur sortie de prison.
(4) Une avocate m’a confié que les réquisitions des juges portent officiellement sur la recherche des dealers. En vérité, il s’agit plutôt d’une traque aux étrangers⋅ères.
(5) « Pour résumer, les Noirs ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs au regard de leur part dans la population disponible ; les Maghrébins entre 1,8 et 14,8 » (Fabien Jobard : « La Police et les étrangers »)
(6) Le règlement Dublin II, réformé en 2013, est un règlement européen visant notamment à déterminer l’État membre responsable d’une demande d’asile et à y transférer la personne demandant cet asile. Pour de plus amples renseignements : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:l33153