#5 – Qu’est-ce qui est jeune et qui attend ?

Peter Pal et la ville des enfants déçus
À la mairie de Palaiseau, comme ailleurs, il existe un « Service Jeunesse ». Le conseil municipal est aussi doté d’un adjoint au maire en charge de cette « population », comme aiment dire les institutions. « Une ville qui s’engage pour sa jeunesse » pouvait-on lire en gros titre du programme électoral de Grégoire de Lasteyrie. Et ça se comprend : selon les chiffres de l’INSEE, les 15-29 ans sont les plus nombreux à Palaiseau. En 2014, ils étaient 7 578 personnes, soit 22,6 % de la population palaisienne.

Conseil Consultatif de la Jeunesse (CCJ), ou Comment Caser les Jeunes

En 2017, qu’en est-il de la politique mise en œuvre en direction des jeunes ? Prenons l’exemple d’un des projets phares de la commune : le Conseil Consultatif de la Jeunesse. Mis en place en 2007 sous le mandat de François Lamy (PS), la municipalité actuelle l’a conservé, pour bien montrer qu’elle tient ses engagements. Il est composé d’une vingtaine de jeunes qui s’inscrivent pour « porter durant deux ans les projets et la voix des jeunes de la ville » indique la ville de Palaiseau(1). La première des conditions pour l’intégrer : avoir entre 14 et 16 ans. « L’idée est de pouvoir organiser quelque chose dans la ville sans être adulte. Ça me plaît de représenter les jeunes, car je trouve qu’ils ne le sont pas assez » rapportait il y a deux ans, sur le site de la ville, Anne-Sophie Tchatcha, collégienne. À priori motivée, Anne-Sophie n’a finalement pas, selon nos sources, poursuivi l’aventure bien longtemps. Désabusé⋅e⋅s, d’autres de ces membres ont pris l’initiative de nous parler de ce « Conseil Consultatif » qui, d’après eux, ne les consulte pas plus que ça…

Mûr mur administratif

« Dès la première année on s’est heurtés à un truc qui s’appelle : « le refus de la mairie ». Ça a été ma première grosse expérience au CCJ » explique Valentin, membre depuis janvier 2014. « On avait monté un projet qui s’appelait « Le CCJ en Scène ». On avait tout bien fait, vu tous les partenaires, fait des réunions avec les services de sécurité, et au final la mairie nous a dit : « En fait, Le CCJ en Scène, vous ne le faites pas ». On a voulu nous faire comprendre que c’était un problème de date, ensuite de budget, mais au final on n’a jamais vraiment su pourquoi. » Déjà cette expérience en pousse quelques un⋅e⋅s à remettre en question leur rôle dans le conseil. « Certains d’entre nous ont été déçus. Pour quelques uns, je pense que ça a joué dans leur décision de ne pas poursuivre au CCJ. »

Pourtant le CCJ dispose d’un vrai budget pour organiser des événements, montés par et pour les jeunes. Réduit de 20 000 à 9 000 euros en fin de mandat de Claire Robillard (maire PS de 2012 à 2014) il fut ensuite raboté à 8 000 euros sous Grégoire de Lasteyrie (maire LR depuis 2014). Avec ces maigres deniers publics, ses membres sont censés organiser deux grands événements annuels (Le CCJ en Scène et La Fête des Cultures) et cultiver un potager intergénérationnel. Le CCJ en Scène est un mélange de concerts et d’activités sportives et ludiques. La Fête des Cultures, c’est « un événement avec des défilés en costumes, des danses orientales, de la musique du monde et une dégustation culinaire de mets venus de partout » raconte Valentin, motivé par cette idée. « Moi j’ai trouvé ça super sympa de voir des familles réunies. » Sarah, au CCJ depuis 3 ans, donne un autre avis. « Je sais pas si c’est vraiment notre rôle de faire La Fête des Cultures en fait. Nous on cherche à viser principalement les jeunes, même si on veut aussi faire de l’intergénérationnel. Et honnêtement, quand t’entends « Fête des Cultures »… Bah moi qui suis jeune, j’peux te dire que j’viens pas quoi. D’ailleurs les jeunes n’y viennent pas, à part quelques potes à qui on demande de venir, et encore. Du coup, je sais pas vraiment à quoi ça sert à part à donner une image. »

Dans l’aventure du CCJ, les jeunes n’ont visiblement pas voix au chapitre, ni à la décision. « C’est jamais les jeunes qui rédigent l’ordre du jour des réunions. C’est sûrement le chef du service Jeunesse et M. Caristan, l’élu à la jeunesse, qui s’en chargent » suppose Sarah. Valentin poursuit : « En général les projets viennent quand même de nous. Mais la mairie met souvent son grain de sel dans la discussion pour dire : « ah mais en fait ça finalement vous pourrez pas le faire… là en fait la date n’est pas bonne… là les infrastructures vous les aurez pas… » Ce qui fait que, par exemple, cette année on n’a pas pu faire notre CCJ en Scène, une fois de plus. » Jean Baptiste, au CCJ depuis 5 ans, en charge de la commission Potager Intergénérationnel(2), explique : « J’ai eu l’impression qu’on était fliqués tout le temps, de devoir faire de la paperasse pour expliquer tout ce qu’on faisait… au final le modèle du Conseil tel qu’il est, c’est pas trop mon truc. On nous dit que le but c’est de donner la parole aux jeunes, moi je trouve que nos projets en général n’ont que très peu touché la jeunesse. J’ai pas ressenti avoir eu la parole au niveau de la ville. »

J’peux pas venir, j’ai la charte

Il semble que depuis quelque temps la mairie impose l’adoption d’une charte. Établie par ses soins, elle est supposément à finaliser avec les jeunes. « Ça fait 6 mois qu’on nous en parle de la charte, et 4 mois qu’on y travaille. On nous a mobilisé toutes les réunions dessus. » Alors que ces jeunes qui participent au CCJ avaient d’autres aspirations. « Nous, on parlait plutôt d’intergénérationnel, du CCJ en Scène, d’événements qu’on aimerait organiser, de discrimination, d’intervention de soutien, de lutte pour l’égalité, d’entraide, de partage, d’apprendre à s’exprimer et à débattre, à s’ouvrir au monde, etc. Au final, tout ça n’apparaissait plus ensuite dans la charte. La preuve : on a voté contre celle que la mairie nous a proposée. Mais l’élu à la jeunesse nous bloque quand même là-dessus. Peut-être parce que ça nous empêche de parler d’autres choses. » Cela a pour effet d’en détacher certains et de faire capoter d’autres projets. Sarah explique : « On a fait remarquer à la mairie que ça nous lassait, qu’il y en avait d’entre nous qui lâchaient. Mais ça n’a pas eu l’air de les déranger plus que ça, qu’il y ait de moins en moins de jeunes. Au début on était 21, maintenant on est 5 en réunion, parfois il y en a où l’on n’est plus que 2. Carrément ! » Valentin termine : « Déjà on nous empêche de mener nos projets, ensuite on nous enlève des thunes et pour finir on nous donne tout simplement un règlement quoi… (rires) C’est un peu chiant sérieux ! » C’est comme si en lieu et place d’un dispositif participatif, les efforts de l’élu se focalisaient sur l’élaboration d’un cadre contraignant. Exit la consultation.

Sympa, la mairie a quand même proposé aux jeunes du CCJ une alternative : incorporer Le CCJ en Scène au très institutionnel et cadré Palaiseau Plage. Un nouveau nom a été suggéré : « Carte Blanche à la Jeunesse ». Ce nom paraît peu en adéquation avec la réalité observée au sein du CCJ. « Ça leur permettait de montrer qu’il y avait un truc pour la jeunesse. Au final ils nous ont raccordés à ça, mais nous c’était pas ce qu’on avait demandé. Ils nous font au moins un peu exister, mais comme eux le veulent, en fait » constate Sarah.

Caution Communale Jeunes

À terme, il semble que toutes ces péripéties aient abîmé la confiance que ces jeunes portaient envers cette institution. « Ils utilisent le CCJ pour faire croire que la jeunesse est vivante. Mais en fait y’a rien pour la jeunesse… Nous on sert d’image, on est une caution pour que la mairie dise « Regardez, on aime la jeunesse, voyez comme on est sympas ! » » Pour finir, Sarah et Valentin dressent un bilan de leur expérience au CCJ, à l’image de leur motivation. « J’ai vraiment appris beaucoup de choses ! J’ai rencontré beaucoup de gens vraiment sympas ! » nous dit Valentin. « J’ai appris à gérer et monter un événement par exemple. Si c’était à refaire, j’y retournerai je pense. D’autant plus que j’aurais déjà conscience des obstacles. » Sarah conclut « Si je prolongeais mon mandat au CCJ, ce serait clairement pour éviter aux autres qui y entrent de se faire manipuler. Je pense juste que les représentants de la mairie gagneraient à écouter davantage les jeunes, à leur laisser davantage de place. Nous, on n’est pas là pour desservir. » C’est ainsi qu’ils en viennent à envisager les choses autrement : « On est en train de réfléchir à tout ça, à comment arrêter de leur donner ce qu’ils veulent, à ne plus être leurs marionnettes. Ça passe à priori par quitter le CCJ. Avec certains, on parle de monter notre association. » Sarah ajoute : « Genre une association pour les jeunes, en mettant l’âge d’accès beaucoup plus large. Même si pour le financement et tout, ça va quand même être compliqué. » Et quand on connaît le désamour de la municipalité pour le moindre bourgeonnement critique, on les comprend.

Le CCJ est un bon exemple de la vision que la mairie se fait de « la jeunesse » : il faut la cadrer et pour cela l’infantiliser, la déresponsabiliser. Cela passe par l’imposition de règles strictes qui mettent, de facto, un frein à la liberté d’expression et d’entreprendre. Cela passe aussi par un système de subventions qui génère davantage la dépendance que l’émancipation. De plus, l’instauration de limites d’âge pour l’accès à certaines activités dénote d’une tendance à cloisonner, et par là à empêcher le contact avec des jeunes plus expérimentés. Cela conduit à l’isolement des tranches d’âges entre elles, et rend plus difficile l’émergence de nouvelles initiatives. Ainsi, l’idée d’un brassage intergénérationnel et d’un certain « vivre-ensemble », pourtant largement prônée par la mairie et les institutions de manière générale, n’en devient que plus utopique. Ne dit-on pas que « L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé »(3) ?

Il est d’autant plus regrettable que la municipalité n’envisage l’indépendance des jeunes que par le prisme de « l’insertion professionnelle ». Ainsi, c’est principalement quand il s’agit d’employabilité que les pouvoirs publics mettent à disposition des moyens, d’ailleurs de plus en plus limités : bourses, financement du permis B, jobs d’été, services civiques et emplois d’avenir. À titre d’exemple, à Palaiseau, les jobs d’été sont passés de 60 postes en 2015 et 2016(4) à 30 cet été(5), de nombreux emplois dits « d’avenir » n’ont pas été renouvelés malgré la priorité à l’embauche, les bourses facilitant l’autonomie sont attribuées de manière sélective aux plus « méritants », les quelques services civiques ne sont rémunérés qu’à hauteur maximale de 500 euros par mois(6), etc. Finalement ces dispositifs, réservés à un petit nombre, sont inadaptés car peu susceptibles de garantir l’émancipation ou l’autonomie financière et personnelle.

(Suite de l’article dans le journal papier)

Par Mike Strach et l’équipe du Petit ZPL

(1) « Une nouvelle équipe pour le Conseil Consultatif de la Jeunesse »
http://www.ville-palaiseau.fr/actualites/fiche/une-nouvelle-equipe-pour-le-conseil-consultatif-de-la-jeunesse.htm

(2) Le travail des jeunes au CCJ est divisé en 4 commissions : Communication, Sport et loisirs, Culture, et Écologie et Potager

(3) Théodore Monod, scientifique naturaliste, explorateur, érudit et humaniste

(4) « Trouvez votre job d’été » – 60 postes à pourvoir, candidature avant le 9 avril 2016
http://www.ville-palaiseau.fr/actualites/fiche/trouvez-votre-job-dete.htm

(5) « À Palaiseau, les jobs d’été c’est maintenant »Le Parisien, 8 mars 2017
« La ville de Palaiseau offre 30 jobs d’été de 15 jours dans ses services » http://www.leparisien.fr/palaiseau-91120/a-palaiseau-les-jobs-d-ete-c-est-maintenant-08-02-2017-6665778.php

(6) Peut-on vivre avec 500 euros par mois ? (Loyer, alimentation, etc.)

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