#8 – Lycée : la réforme qui casse le bac d’abord

Lycée : la réforme qui passe le bac d'abord

À l’Essouriau on a bloqué le lycée contre une réforme précipitée et injuste

Un bâtiment presque neuf mais déjà vieux et puis de vieux bâtiments remplis de jeunes.

Ces jeunes, ils sont d’un peu partout, des Ulis bien sûr, mais aussi de Marcoussis, de Gif ou d’Orsay. Il est compliqué, parfois impossible de préserver cette mixité, parce qu’il faut faire beaucoup avec trop peu : trop peu d’heures, d’ordinateurs, de collègues. Et ça ne marche pas, pas toujours, pas assez. On le sait et ça nous énerve alors on est aussi fier d’avoir un travail qui a du sens qu’en colère parce qu’il est souvent infaisable. L’Essouriau, c’est tout un équilibre et c’est pour ça qu’on s’y attache.

Ce qui n’est pas très équilibré par contre, c’est le rapport entre ce lycée des Ulis et ceux qui l’entourent. À côté, c’est un peu l’excellence, voyez-vous, alors que comme par hasard, les filières pro et techno, c’est chez nous. Il y avait des filières technologiques à Orsay mais elles ont disparu, un directeur académique a dit un jour que les enfants d’Orsay « n’avaient pas vocation » à suivre ce genre de filière. Par contre, on va nous rajouter, ô joie, un lycée international sur le plateau et j’imagine que les enfants startupers de Palaiseau n’auront pas « vocation » non plus à aller aux Ulis.

Le menu à Bourges-sur-YvetteAlors la Réforme du Lycée, ça a fait peur à tout le monde. Pourquoi ? Parce que justement elle brise cet équilibre déjà impossible. Vous ne connaissez pas la Réforme du Lycée ? C’est normal, on vous a juste parlé de « la fin des filières » et du « lycée à la carte. » Soyons donc un peu précis(1). Les lycéens vont devoir choisir trois enseignements de spécialité en 1ère parmi les sept proposés par le lycée. En Terminale, ils n’en garderont que deux. C’est ça, le « lycée à la carte », pas de filières car dans le monde enchanté du ministère, les élèves ne choisiront que les enseignements qui leur plairont. Et génial, ça arrive très vite en plus, dès septembre dans tous les bacs !

Oui mais… il s’agit quand même de « rationaliser l’offre de formation » (ça, ça veut dire faire des économies). Jusque-là, l’Essouriau possédait quatre enseignements artistiques : théâtre, danse, arts plastiques et cinéma-audiovisuel. On a même un enseignement scientifique spécialisé de Sciences de l’Ingénieur qui remplit deux classes. Cela permettait d’éviter les dérogations, voire d’attirer des élèves. Alors oui, parfois, il n’y a qu’une dizaine d’élèves en cinéma. Alors oui, on a regroupé les niveaux 1ère et Tle en théâtre. Tout ça n’est pas très rationnel. Les textes rationnels, eux, ils disent qu’un lycée ne peut délivrer qu’un seul enseignement artistique. Qu’une classe d’une dizaine d’élèves, ce n’est pas rentable. Mais il y a du matériel professionnel, il y a l’expérience accumulée, il y a les élèves qui ne mettent plus les pieds au lycée que pour ces cours-là. Alors pour ça, on est inquiet, d’autant que le lycée de Gif, propose déjà du cinéma et qu’évidemment, leur pôle est plus gros que le nôtre.

Et puis, il y a le Bac. 40 % de la note finale sera validée par contrôle continu. Ça veut dire 40 % made in Les Ulis. On a beau dire, c’est moins classe que made in lycée international. Et à l’heure de la sélection via Parcoursup*, ça compte.

Notre bel équilibre tenait aussi parce qu’on avait (quand même) un peu de temps pour les élèves, celui de parler orientation et futur. De leur côté, ils avaient le temps de faire des erreurs. Le contrôle continu, c’est comme si on les poussait dans l’escalier : ils ne s’arrêtent jamais et ils ne se rattrapent pas. Les premières épreuves commencent en janvier de 1ère et se poursuivent en avril, on enchaîne ensuite avec les épreuves anticipées de juin… Et rebelote en Terminale : janvier, avril et juin. Bref, on passera son bac 6 fois et pendant deux ans.

C’est le moment où vous vous dites : « Bon sang mais c’est bien sûr ! La réforme du bac, j’en ai entendu parler, c’est le Grand Oral ! Un dossier personnel, présenté par un élève devant un jury, toussa toussa… » Oui, c’est tout ça… sauf qu’il n’y a pas plus d’heures dédiées au grand oral** que de cheveux sur le crâne de Blanquer. Que dalle. Zéro, la tête à Toto. Il faut bien se rendre compte que noter un travail maison sans aucune heure de cours, c’est en fait noter le cadre familial d’un élève : est-il au calme pour bosser ? Peut-il recevoir de l’aide ou des conseils ? Et l’on ne parle même pas d’un prof particulier, voire d’organismes privés payés pour faire directement le travail. Vous reprendrez bien un peu de discrimination systémique ?

Le menu aux ZuzusQue faire ? Faire une pause pour retrouver l’équilibre et alerter. Assemblée Générale des profs. On propose le blocage souple du lycée : dissuader les élèves d’entrer sans les en empêcher physiquement.

Pas si simple. D’abord, il y a des gens qui sont contre, parce que ça ne sert à rien, parce que c’est interdit et que l’on devrait montrer l’exemple et surtout parce qu’on prend du retard sur les programmes alors que c’est la seule chose qui reste à nos élèves. Mais il y a aussi ceux qui sont pour : il y a urgence, c’est un moyen d’expliquer aux lycéens et à leurs parents et puis les manifs de profs sur BFM, on n’en peut plus !

Vote. 54 présents. 48 voix pour le blocage, 3 contre, 3 votes blancs. C’est le moment où je trouve que mon lycée a vraiment de la gueule.

Le samedi qui précède l’action, avec l’aide de la FCPE, une fédération de parents d’élèves, on organise une matinée d’information centrée sur les 2nde : c’est la génération sacrifiée, elle fait une année « lycée ancienne formule » avant d’essuyer les plâtres d’une 1ère « nouvelle formule » avec toutes les incohérences que suppose de changer les règles du jeu en cours de partie. Cette action, on veut que les parents comprennent qu’elle nous concerne tous. L’équilibre toujours…

Lundi 12 Novembre, sous les regards un peu étonnés des élèves, une trentaine de profs s’activent devant les grilles : distribuer des tracts, poser une banderole « lycée en grève », la décorer à la bombe (merci à l’artiste de la bande). Par chance, il pleut et nos parapluies se transforment en une bannière bariolée qui occupe le terrain.

Certains élèves veulent absolument entrer. Ils ont peur d’être notés « absents ». Là, je dois expliquer quelque chose. Quand on est parent et qu’on ne peut pas aider son fils ou sa fille à faire ses devoirs, on fait ce qu’on peut : on surveille plus que tout retards et absences. Les gamins, du coup, ils font attention… même s’ils n’ont pas de bonnes notes pour autant.

Côté prof, c’est bon enfant, les slogans se font plus décalés, l’équipe d’EPS a sorti les sifflets. Des policiers viennent voir, on les accueille, on leur explique, ils ont le même problème : devoir faire plus avec moins. Alors on s’aperçoit que l’on s’est déjà croisé à la réunion parents/profs !

La pluie a cessé. La journée d’action s’achève. La direction annonce 70 % de grévistes. Très peu d’élèves ont franchi le portail.

Le lendemain, en salle des profs, il faut chercher l’équilibre à nouveau. On s’indigne de la comm’ des syndicats qui ne parlent que des postes supprimés. À la machine à café, ceux qui étaient contre le blocage se foutent gentiment de nous, on répond sur le même ton. On a des choses à se dire et l’on n’a pas fini de construire ni de travailler ensemble, en équilibre.

Jusqu’à la réforme en tout cas : c’est septembre prochain, et ça va peut-être tout casser.

L’actualité de la casse, les breaking news de fin décembre !

Comme on le craignait, le Rectorat demande effectivement au lycée de l’Essouriau de faire un choix entre l’enseignement de Cinéma audiovisuel et celui d’Art plastique. Concrètement, nous perdons donc une offre de formation qui faisait l’identité du lycée. On continue à se battre. En attendant, le lien de la pétition pour dire qu’on n’est pas d’accord.

https://www.change.org/p/ministère-de-l-education-nationale-pour-le-maintien-de-tous-les-enseignements-artistiques-au-lycée-de-l-essouriau

S.

* Parcoursup : algorithme implacablement méritocrate
** Grand oral : pour un sourire idéal choisissez grand oral

(1) BO du 19 juillet 2018, accessible ici : http://www.education.gouv.fr/cid132955/au-bo-du-19-juillet-2018-les-baccalaureats-general-et-technologique-a-partir-de-la-session-2021-de-l-examen.html

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