#7 – Les nouvelles stars palaisiennes

Zopal héritage culturel
Quand on recherche en ligne des informations sur Palaiseau, on tombe rapidement sur Wikipédia, site web encyclopédique participatif. Une page nommée « Palaiseau » y est référencée, que chacun⋅e est libre « d’améliorer », comme le suggère le site. Faits historiques, précisions géographiques, virgules en trop ou points oubliés, les internautes sont libres d’ajouter ou de supprimer, sous réserve de connaissances suffisamment affûtées en la matière. Pour les villes, des renseignements sur la culture locale, la démographie ou encore l’économie sont généralement mis en avant par les contributeurs, et, si on s’émerveille déjà au chapitre « Palaiseau dans les arts et la culture », c’est au chapitre « Personnalités liées à la commune » que l’on peut faire les plus belles rencontres.

Dès la première ligne, on est clairement informé : « Différents personnages publics sont nés, décédés ou ont vécu à Palaiseau ». Ces « personnalités » sont classées par ordre chronologique et, sans surprise, on retrouve les traditionnels : Joseph Bara « le héros révolutionnaire », Charles Péguy « l’écrivain », George Sand « l’écrivaine », Amable Tastu « femme de lettres » ou encore Henri Poincaré « le théoricien ». Ils et elles ont donné leurs noms à nos rues, nos écoles ou nos parcs. On a grandi avec, sans pour autant les connaître.

De Childebert 1er à Benjamin Mendy

On en découvre d’autres, de Childebert 1er, fils de Clovis, à Noémie Lenoir, actrice et mannequin, ou encore Édouard Bineau, pianiste. Il y a donc des artistes mais aussi quelques personnalités politiques. Il y a Émile Pouget, célèbre syndicaliste révolutionnaire, « discrètement » mort à Lozère. Il y a Nathalie Kosciusko-Morizet, mais y’a pas Grégoire de Lasteyrie. Au moins, y’a Henri Alleg, journaliste anticolonialiste, qui a vécu à Zopal. Dans « La question », il dénonce les actes de torture de l’armée française en Algérie qu’il a lui-même subis. Depuis sa mort en 2013, des Palaisien⋅ne⋅s formulent en vain le vœu qu’un mémorial lui soit dédié. Une pétition recueillant plus de 1 900 signatures circule toujours. Malgré tout, la mairie s’y refuse.

Pour chaque personnalité, un renvoi est proposé. On y découvre davantage sur les œuvres et parfois sur les orientations politiques. Précisons quand même qu’à ce sujet, les renseignements se font généralement rares. D’ailleurs, concernant Palaiseau, ils sont davantage précisés lorsqu’il s’agit de femmes et d’hommes de lettres.

La grande majorité d’entre ces journalistes, écrivain⋅e⋅s ou poètes liés à Palaiseau était communiste, résistante ou proche de milieux de gauche. George Sand et Amable Tastu côtoyaient Victor Hugo, Jean-Pierre Chabrol, auteur du « Bout-Galeux », fut rédacteur en chef de l’Humanité. Henri Alleg y fut publié. Charles Péguy aurait été militant socialiste libertaire avant de dériver. Gilbert Simondon, philosophe, aurait influencé Gilles Deleuze. Beaucoup ont tenté au cours de leur existence de participer à l’émancipation des populations, par la pensée et par les lettres. Certains ont fondé un journal, ce qui n’est pas non plus sans nous émouvoir, au Petit ZPL.

Plus bas dans la liste, on lit que Benjamin Mendy, Thierry Henry, Jean-Alain Boumsong et Jonathan Zébina, quatre footeux à la carrière internationale, ont joué à l’US Palaiseau Foot. Moi aussi j’ai joué à l’USP et accessoirement, si ma mémoire est bonne, quand on était mômes, j’ai peut-être déjà dû marquer un but, une fois, à Benjamin Mendy, entre la poubelle et le platane du square des Champs-Frétauts. Alors j’avoue, ça m’a fait kiffer de voir son blaze au milieu de ces « grands » blazes. Y’avait du chauvinisme là-dedans. Je me suis rapidement débarrassé de ce ressentiment lorsque j’ai découvert les autres « stars » locales qui honorent notre époque, sur Wikipédia.

De George Sand à la Société Générale

À compter des années 70, la liste égrène une ribambelle de personnages aux profils désormais peu variés. On découvre avec stupeur – même quand on l’apprécie, j’parie – qu’Alain Finkielkraut, « philosophe » réactionnaire, est une « personnalité liée à la commune de Palaiseau ». Mon chauvinisme perd alors un peu de son ardeur, vous n’êtes pourtant pas au bout de mes peines.

Personnellement, j’ignorais que le président de Véolia, Antoine Frérot, était, du coup, un d’nos véritables frangins, puisque lui aussi nous est « lié » sur Wikipédia. Dans mes bras, mon frère ! François Villeroy de Galhau aussi tiens, il serait du coin. Il a bien grandi, il est directeur de BNP Paribas maintenant. Moi j’suis fan des p’tites histoires populaires locales, et ça m’taraude : étaient-ils déjà potes à l’époque, avec Frédéric Oudéa ? Fred ! Le dirlo de la Société Générale ! C’est sûr, ils ont du s’en taper de ces barres de rires à la salle des fêtes ou à la MJC dans l’temps, Fred, tu t’souviens ? Y’en a d’autres. Palaiseau ça vole vachement haut. Les directeurs d’Airbus et de Thalès, Fabrice Brégier et Patrice Caine, sont aussi des p’tits d’ici, nous dit Wiki. Enfin, le président de Total, Patrick Pouyanné, représente lui aussi Zopal et le 91. Faites du bruit.

L’élite de la nation

Hormis le fait qu’ils soient, askip, tous liés à Palaiseau, quel point commun possèdent ces six directeurs d’entreprises du CAC 40 ? Certes, pas mal d’entre eux dirigent des entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale. Mais encore ? Aucun de ces cadres n’est une femme ? Bon. Comme d’habitude quoi…

En fait, tous sont passés par l’école Polytechnique. C’est aussi le cas d’Alain Finkielkraut. D’ailleurs, ce serait leur seul lien avec Palaiseau. D’un coté, c’est rassurant. Pour Finkielkraut notamment. D’un autre, c’est intriguant. Quiconque connaît Zopal ou y a livré des pizzas sait que l’École Polytechnique est une ville dans la ville. Excentrée, cependant. Installée à Palaiseau depuis 76, elle est qualifiée de « grande école militaire ». Sous la tutelle du ministère de la Défense, elle forme de futur⋅e⋅s ingénieur⋅e⋅s du monde entier dans un entre-soi d’élites. Askip, certains élèves polytechniciens le regrettent. Pourtant, la ville de Palaiseau et l’École Polytechnique s’essaient, tant bien que mal, à instaurer quelques partenariats culturels par-ci, ou éducatifs par-là. Rien qu’en regardant son implantation géographique, on a bien du mal à croire que les résidents de l’École Polytechnique soient vraiment « liés à la commune de Palaiseau » comme nous le dit Wikipédia.

Et demain ?

Parfois à Polytechnique, ça leur arrive aussi de foutre des noms sur des façades. Ça n’a rien à voir avec des tags, ou du graffiti, mais c’est vrai que ça fait un peu street art. Un peu farfelu. Par exemple, y’a écrit « Patrick Drahi » (SFR, L’Express, Libération, etc.) sur une façade de l’X(1). À CentraleSupélec, une autre école du Plateau, ils ont inauguré un bâtiment « Francis Bouygues » (Groupe Bouygues : TF1, Bouygues Télécom, Immobilier…). Nous, à Zopal, contrairement au 16ème arrondissement de Paris, on n’a pas encore la « rue de Lasteyrie ». En même temps cette rue, c’est pas le vrai de Lasteyrie. Enfin si, mais c’est pas Grégoire. C’est plutôt Charles, son grand-père. Parce qu’il a été député du 16ème puis ministre des Finances, quand même. Grégoire, lui, il a pas encore été député. C’est dommage, ça ferait bien dans la page Wikipédia de Palaiseau.

On l’a pas encore, cette rue, mais un de ces quatre, on sait jamais, on n’est pas complètement à l’abri non plus d’une petite Allée Véolia des paquerettes, au coin d’un carrefour. Ou même d’un Espace Culturel – BNP Paribas les couettes au coin de la gueule. Parce qu’ils sont un peu filous ces patrons-là, et ils aiment bien la culture, askip.

Quoiqu’on en pense, une tradition perdure : nommer les équipements publics et les rues selon l’Histoire locale. Conjuguée au bétonnage sans relâche du territoire, ça donne l’opportunité au pouvoir politique en place de teinter la ville aux couleurs de son interprétation partisane du patrimoine communal. En 2015, par exemple, la droite Palaisienne donne à la nouvelle école du plateau le nom d’une pilote de chasse. L’école s’appellera « Caroline Aigle », première femme française à prendre les cieux pour l’armée. Quel lien avec Palaiseau ? Aucun, si ce n’est celui d’être passée par Polytechnique. Comme Finkielkraut, en fait.

Mike Strach

Nouvelles stars palaisiennes

(1) Patrick Drahi inaugure le centre d’innovation et d’entrepreneuriat de l’X : https://www.polytechnique.edu/fr/content/patrick-drahi-inaugure-le-centre-dinnovation-et-dentrepreneuriat-de-lx

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