Dans la ville se dressent de nombreux panneaux de pub sur lesquels nous est largement présenté le nouvel outil de « démocratie participative* » de la ville : TellMyCity. Son principe est simple : à l’aide de votre smartphone, vous téléchargez cette application puis photographiez les incivilités que vous aurez la vigilance d’identifier. « Poubelles, tags, nids de poules… Signalez-les à Palaiseau » peut-on lire en large sur ces affiches de deux mètres.
Sur le site internet de la ville, la famille du mot « Signaler » est omniprésente, employée jusqu’à sept fois en quelques phrases(1). Le message est clair et la communication municipale le martèle, « signaler un problème est désormais chose facile, dès qu’un problème est signalé, il est directement envoyé aux services municipaux qui se chargeront d’y remédier le plus rapidement possible ». Il n’en faut pas plus à notre sympathique maire-adjoint en charge de la sécurité pour signaler, à son tour, en conseil de quartier que « l’application TellMyCity est un outil de signalement [à propos du stationnement] : il suffit de faire une photo avec son smartphone et de l’envoyer à la police municipale. »(2) Rien que ça.
Surprise !
Alors une surprise de taille attend les utilisateurs qui découvrent TellMyCity du bout des doigts. Au risque de les décevoir, l’application permet, tout autant, de « Suggérer » une action dans la ville ou d’en « Féliciter » une autre. Car oui, comme s’en défend l’un des créateurs de l’appli’, conçue par le cabinet Spallian : « L’idée n’était absolument pas d’être dans une logique de délation ou de récrimination, [mais] vraiment de pouvoir créer du lien social […] et donc qu’ils [les citoyens] puissent suggérer des choses : davantage de service public, des structures pour la petite enfance, davantage de culture aussi, plus de spectacles. »(3) Ah ! Comme c’est gentil ! Alors nous vient une idée…
Toi aussi, joue au « gaucho » avec Le Petit ZPL
Et si, plutôt que de « Signaler » à tout-va, on se mettait à « Suggérer » ce qui nous semble manquer ? Par exemple, d’ouvrir davantage de lieux de rencontre et de convivialité, de cesser d’en supprimer, de fermer le Centre de Rétention Administrative (CRA) de Palaiseau et de désarmer la police municipale, etc. Faisons ainsi et trollons** TellMyCity. On pourra même ensuite s’en « Féliciter ». Il s’agit là de passer pour de parfaits « bobo-islamo-gauchistes », et après avoir été géolocalisés, nous aurons peut-être la chance d’être « cartographiés » comme tels. Car le site de l’application le précise bien : « Toutes les informations de TellMyCity alimentent une cartographie permettant une analyse fine de la typologie des demandes, quartier par quartier, tout en garantissant un suivi statistique. »(4)
Cartogra-fist, un poing technique
L’entreprise qui a conçu TellMyCity est « experte du Data Analytics et du Géo Management », elle « accompagne ses clients dans le traitement et l’analyse de l’information stratégique »(4). Les Data Analytics désignent la collecte et l’analyse, à des fins stratégiques, de grands ensembles de données commerciales et/ou personnelles. Spallian propose de les utiliser à des fins politiques, par le biais de cartographies électorales(5). À titre d’exemple, ces cartographies permettent à un candidat, lors d’une campagne électorale, de connaître les quartiers acquis à sa cause ainsi que ceux considérés de bords opposés. Ça permet surtout de connaître les quartiers dans lesquels se trouvent les indécis qu’il faudra séduire, ceux qui font basculer le scrutin car c’est généralement là que se joue une élection. Une fois l’électeur identifié, il sera aisé de faire de la « communication ciblée »(5), de lui envoyer des courriers nominatifs, de le flatter et le caresser dans le sens du poil. Cet outil permet de bénéficier d’un gain considérable de temps et d’énergie. Les Palaisiens qui ont eu l’honneur de recevoir en 2014 ce genre de courrier souriront. Ce sont des pratiques de plus en plus courantes, grâce entre autres au numérique. Spallian, pour un politicien, c’est super pratique !
Mais que ca$h-t-ils ?
En décembre 2015 au sujet de l’« Enquête de victimation » (voir article « Épie quoi encore ? »), le maire admet « qu’une des questions [du questionnaire] était mal formulée » mais rappelle avoir « fait appel à un cabinet qui a réalisé le même exercice pour de nombreuses collectivités et que la question incriminée était fréquemment utilisée ». Ce cabinet, c’est Spallian, encore eux ! Toujours là quand il s’agit de collecter des informations, même concernant le CLSPD (Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance). Rétabli par le maire il y a peu, « la Ville a passé un marché avec la société Spallian pour sa mise en place »(6). Et les affaires sont bonnes dans ce domaine. L’enquête de victimation aura ainsi été facturée entre 20 000 et 89 999,99 € au contribuable(7). Il est hélas difficile de connaître son coût exact. Idem pour TellMyCity. Pour se faire une idée, à titre de comparaison, la ville d’Arras et ses 40 830 habitants (38 000 à Palaiseau) a payé pour TellMyCity une somme estimée à 45 684 € pour 4 ans d’utilisation(8). Si d’aventure d’autres informations vous viennent aux oreilles, « Signalez-les au Petit ZPL ».
Yaya
(**) « Trollons », du verbe troller, signifie sur internet écrire des messages provocateurs sur un forum
(1) http://www.ville-palaiseau.fr/actualites/fiche/tellmycity-une-appli-pour-embellir-la-ville.htm
(2) http://www.cq-plateau-palaiseau.net/wp-content/uploads/CRCQ_Plateau_2016-06-20_VALIDE.pdf
(3) https://www.youtube.com/watch?v=n-8KZGHLovw
(5) « Études politiques et cartographies électorales » : http://www.spallian.com/smart-gouvernance/ (lien vers une version archivée, car cette page a été supprimée du site)
(6) Conseil de quartier du centre, 5 octobre 2016
(7) http://www.ville-palaiseau.fr/fileadmin/palaiseau/MEDIA/06_Emploi_economie/marches_publics/marches_conclus/LISTE_DES_MARCHES_CONCLUS_EN_2015.pdf
(8) http://www.lavoixdunord.fr/region/une-application-lancee-en-septembre-pour-alerter-ia29b0n2916568