À propos des mauvaises raisons de justifier l’armement prochain des policiers municipaux, le maire nous a offert récemment un argument typique de l’hystérie sécuritaire : « Le pouvoir de police, c’est le pouvoir du maire. C’est ma responsabilité personnelle qui est engagée. Le contexte national depuis janvier 2015 a évolué. Porter un uniforme, c’est être une cible », avance Grégoire de Lasteyrie[1].
Ce qu’il y a de marrant, avec la frénésie sécuritaire[2], c’est qu’elle s’accompagne toujours d’une certaine déchéance de la rationalité, martelée avec la solennité d’un argument imparable. Et pourtant, cela se démonte assez rapidement. Il suffit en effet de consulter le site officiel de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) pour constater que Grégoire de Lasteyrie raconte n’importe quoi. De 2008 à 2015, on comptabilise 6 à 13 policiers morts en service, et parmi eux, 2 à 6 dont le décès intervient en mission[3]. Pour combien de décès peut-on parler de cible ? Selon le rapport le plus récent de l’ONDRP : « Le plus grand nombre de décès en service est concentré dans la catégorie « trajet », qui regroupe les accidents corporels, matériels ou de circulation, survenus lors du trajet domicile travail ayant entraîné la mort de l’agent de police ». C’est le cas pour 22 décès sur les 31 enregistrés de 2008 à 2013[4].
Bref, les policiers meurent sporadiquement en service, rarement pour des raisons de dangerosité de leurs missions, et exceptionnellement en tant que cibles de terroristes. Qu’en est-il de ce risque pour les policiers municipaux ? La seule policière municipale prise pour cible d’un terroriste ces dix dernières années, c’est Clarissa Jean-Philippe, froidement abattue en janvier 2015. Il faut donc convenir de la chose suivante : non, le contexte national n’a pas changé depuis janvier 2015, en termes de risques de mortalité policière. Il y a même moins de policiers morts en service en 2015 qu’en 2009. Non, les porteurs d’uniforme ne sont pas particulièrement ciblés par les crimes terroristes. En France, depuis 2012, le nombre de civils ayant péri lors d’attentats terroristes est plus de vingt fois supérieur au nombre de victimes porteuses d’uniformes. Quant aux policiers municipaux, il est parfaitement absurde de les croire particulièrement en danger. Il est temps d’offrir à Grégoire la jolie formule bourdieusienne : « le fait divers fait diversion »[5].
À mon humble avis, c’est beaucoup plus du côté de ce que le maire décrit curieusement comme sa « responsabilité personnelle » qu’il faut chercher les véritables raisons de son engouement pour l’armement des policiers municipaux. Lasteyrie souscrit, comme de nombreux politicards contemporains, à l’idéologie sécuritaire des « marchands de peur »[6]. Cette tendance est particulièrement à la mode chez Les Républicains, à l’image du débat médiatique morbide sur la « légitime défense des policiers » qui est resté en complet décalage avec les chiffres officiels de la DGPN. Bref, il me semble plus raisonnable de penser que Lasteyrie ne fait rien d’autre que de céder à une sorte de conformisme irrationnel et apeuré, façon Copé-décalé, afin de rouler ultérieurement des mécaniques dans je ne sais quelle assise nationale de la sécurité locale. Il s’agirait pas de passer pour un petit face à Ciotti ou Estrosi, alors voilà, dans sa zone sans cible, Grégoire fait le clone sensible. Tout simplement.
Quant à moi, j’invite gentiment le maire à réfléchir sérieusement aux implications de ses trouilles intimes sur ses décisions politiques. Armer des fonctionnaires municipaux de Magnum .357, à dix mille lieues de leurs missions premières, en voilà une véritable responsabilité. Elle n’a d’ailleurs rien de personnel, cette responsabilité, elle est éminemment politique. J’espère sincèrement que cette supercherie n’aura pas de conséquence fâcheuse. Car dans ce cas, il y a fort à parier que les Palaisien.nes sauront se souvenir quel fanfaron en fut à l’origine. Ceci dit, ne souhaitant point ajouter de l’angoisse aux cauchemars déjà très créatifs du maire, je parie un paquet de chouquettes sur la plus forte probabilité d’usage des pétards municipaux : vraisemblablement, ils ne serviront à rien.
Briac Chauvel
Illu : ShlagLab
[2] Laurent Mucchielli : « La Frénésie Sécuritaire, Retour à l’ordre et nouveau contrôle social », La Découverte, 2008.
[3] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/06/14/une-dizaine-de-policiers-tues-en-service-ou-en-mission-chaque-annee_4950476_4355770.html
[4] Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales
[5] Pierre Bourdieu : « Sur la télévision », 1996.
[6] Mathieu Rigouste : « Les Marchands de Peur », Libertalia, 2013.