Rentrée des cases
À quel âge on est jeune ? Les pouvoirs technocratiques prennent un malin plaisir à sectionner la jeunesse en petites colonnes, aussi impeccables que paradoxales. À Palaiseau, la mairie met à disposition une structure dénommée « L’Accueil Jeunes », réservée aux 11-17 ans, un Conseil Consultatif de la Jeunesse pour les 14-16 ans, un dispositif d’accompagnement à l’emploi pour les 14 à 26 ans et des jobs d’été pour les 16 à 17 ans. Pour L’INJEP(1) les jeunes auraient entre 15 et 35 ans alors que pour les statistiques de l’INSEE, c’est 15-29. Wikipédia dit que c’est de 0 à 25 ans et à la SNCF, la Carte Jeune c’est pour les 12-26… Avec tout ça, il y a de quoi être désorienté. D’un entretien à l’autre avec les premiers concernés, les réponses varient. « Franchement pour moi à 30 piges, t’es encore jeune » répond Anaïs, 21 ans. Une de ses amies rétorque : « Mais y’a aussi des gens qui ne sont pas « jeunes » à 30 ans ». Pour Esther qui en a 17, c’est une question d’état d’esprit, un concept, c’est dans la tête. Comme le souligne Alex : « tu peux aussi être jeune à 50 piges ». On peut s’interroger sur la tronche des tranches d’âges, qui sont souvent déconnectées de la réalité et visent essentiellement à classer et caser. En témoigne la pléthore de cases : toute-petite-enfance, petite-enfance, enfance, préadolescence, adolescence, adulescence, etc. Cette obsession de la catégorisation produit des « incasables » et permet aux institutions de reprocher aux électrons libres de ne pas rentrer dans leurs cases.
Les jeunes, en général…
Quand on dit « la jeunesse » ou « les jeunes » en général, c’est souvent de manière à encadrer ou (dé)valoriser. Dans le Larousse les synonymes proposés pour le mot « jeune » sont plutôt réducteurs : « naïf », « crédule », « inexpérimenté » ou encore « novice ». Que du positif. Dans les médias, les jeunes ont mauvaise presse et sont souvent montrés comme désabusés, violents, ou individualistes(2). Selon une étude(3), on y trouve « une vision souvent présupposée. […] La presse, et en particulier la télévision française, construisent une image des jeunes assez stéréotypée ». Le sociologue Olivier Galland(4) explique : « On a le sentiment que les médias en rajoutent sur le côté sombre des jeunes. À aucun moment, ils ne mettent en avant le dynamisme ou l’imagination. » Ce travail des médias influence l’opinion publique. Selon une étude organisée par Audirep pour l’AFEV(5) en 2010, 49 % des Français ont une mauvaise image des moins de 25 ans. En 2013, 54 % des personnes interrogées ont une vision négative des « jeunes de banlieues »(6). Inversement, un autre biais médiatique consiste à focaliser sur les jeunes « méritant⋅e⋅s », auréolé⋅e⋅s de succès et de palmarès, dont les admirables parcours permettent surtout de tresser des lauriers à notre pseudo-méritocratie.
Roulez jeunesse
Si les médias dominants aiment à dire « les seniors », c’est qu’il serait politiquement incorrect de dire « la vieillesse » ou « les vieux », jeunisme oblige. A contrario, « la jeunesse » est un terme largement employé. Bien que les médias aient « une façon de parler de la jeunesse reposant entre autres sur une logique d’amalgame » toujours selon la même étude, l’usage galvaudé du terme « jeunesse » permet d’oblitérer le fait que les jeunesses ne partagent pas les mêmes conditions. Bourgeoises ou populaires, rurales, urbaines, périurbaines, blanches ou racisées, féminines, masculines ou transgenres, rangées ou rebelles, les jeunesses n’ont ni les mêmes modes de vie ni les mêmes préoccupations. Surtout, elles ne bénéficient ni des mêmes privilèges, ni de la même reconnaissance. Elles ne rencontrent ni les mêmes difficultés, ni les mêmes discriminations, ni les mêmes obstacles institutionnels. Il y a celles qui s’engagent dans l’armée, ou celles qui vont à l’université. Il y a celles qui remettent en question la police, et aussi celles qui la subissent. Celles qui ne seront pas du tout intéressées par la lecture de cet article, et celles qui s’engagent dans l’associatif. Il y a aussi celles qui veulent une mention au bac, et il y a celles qu’on ne mentionne plus. À Palaiseau, par exemple, on connaît bien celle qui provient des hauts milieux parisiens et qui dirige aujourd’hui la ville. Le maire et la nouvelle députée n’ont pas pour seul point commun de faire du parachute de Paris vers notre commune. Ces amoureux de la chute libre font partie de ces jeunesses bourgeoises des grandes écoles onéreuses, par ailleurs surreprésentées dans le cabinet du maire. Elles ne nous viennent pas des mêmes milieux que celles qui grandissent aux Larris ou à l’Effort Mutuel, à Palaiseau. Ces jeunesses sont donc sociologiquement différentes sur de nombreux points. Autant dire qu’un dispositif de « Conseil Consultatif de la Jeunesse », qui propose essentiellement d’enrubanner des jeunes cooptés dans des écharpes bleu-blanc-rouge, de signer poliment une charte dépolitisante, de bêcher un potager intergénérationnel et d’organiser une ou deux fêtes par an, sous l’autorité d’un élu local et d’un chef de service jeunesse qui tiennent serré l’ordre du jour, permet difficilement de susciter auprès de toutes ces jeunesses un désir d’engagement. La preuve, c’est qu’elles se sont barrées.
Mike Strach et l’équipe du Petit ZPL
(2) « Jeunes et médias : au delà des clichés » – Les cahiers de l’action, p.43-48
https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2012-1-page-43.htm
(3) Voir notamment « La représentation des jeunes dans les médias d’actualité » – MédiaMorphoses Frau-Meigs D., Allanic J.-C., Jehel S., Drouet M. (dir.)
http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/23258
(4) Campagne « Stop aux clichés »
http://www.jetsdencre.asso.fr/campagne-stop-aux-cliches/
(5) Association de la Fondation Étudiante pour la Ville
(6) « Comment les jeunes sont-ils perçus dans la société française ? »
http://www.letudiant.fr/lifestyle/sondage-comment-les-jeunes-sont-ils-percus-dans-la-societe-francaise.html