Il est venu sans filet, s’enfiler les questions des palaisien⋅ne⋅s au conseil de quartier du centre, le 22 mars dernier. Dans un discours associant irrationalité et sincérité brute, Jean-Pierre Madika a su promouvoir le déploiement du plan de sécurisation de la ville « très calme ». Madika, c’est notre maire-adjoint en charge de la sécurité, général de division à la retraite, le genre de type capable d’écrire sur internet : « Très rares sont mes commentaires sur Facebook mais là je n’hésite pas et suis prêt à partir en guerre (je sais de quoi je parle) pour que F. Fillon sauve notre pays » [sic]. Un type entier, qui parle vrai.
Ce soir-là, face au feu nourri des questions posées, nous avons pu constater avec surprise à quel point son discours était pétri de mesure et de modération. En même temps, il nous a raconté qu’une précédente réunion concernant les référents « participation citoyenne » avait été « sabotée », et que l’usage apparemment débridé de l’expression « situation anormale » lui avait valu les foudres d’une assemblée beaucoup trop laxiste, voire angéliste.
Depuis Jean-Pierre « pèse [ses] mots* ». Par exemple, sur les caméras, c’était tellement mesuré qu’on n’a rien compris. D’une part, il explique qu’il s’agit de vidéoprotection, de dissuasion et de détection, mais d’autre part il avoue qu’il n’y aura personne pour regarder les images en live. La police regardera après, au cas où.
Au cas où quoi ? C’est là que Jean-Pierre balbutie. Il s’agirait d’avoir l’œil sur les « rassemblements de jeunes » par exemple, mais aussi « de moins jeunes », parce que Jean-Pierre pèse ses mots. Faut les mettre où les caméras ? Jean-Pierre pèse tellement ses mots qu’il en bégaye. Bah, « sur les quartiers, euh… euh… un peu sensibles ». Faut en mettre plein dans la rue de Paris par exemple, mais à Lozère aussi. Combien à Lozère ? Trois, c’est bien trois. Jean-Pierre explique que les zones d’implantation des caméras dépendent d’enquêtes minutieuses issues de la géographie des terroirs les plus cambriolés, et plus tard il admet que les caméras ne permettent pas de lutter contre le cambriolage. Là, tu comprends plus rien. Alors Jean-Pierre ajoute que de temps en temps, faut quand même longuement étudier l’implantation d’une caméra, mais que parfois il suffit d’en demander une parce t’as « reçu des jets de clous ». Par exemple, il a dit qu’il y en aurait une près du Shamrock, mais qu’elle n’aurait pas le droit de filmer le Shamrock. Jean-Pierre précise qu’il est possible qu’il y ait des gens qui « jettent des clous » devant le bar, mécontents des « rassemblements de jeunes ». Là Jean-Pierre a oublié de dire moins jeunes.
La caméra pourra donc filmer les rassemblements et les clous, d’une pierre deux clous. Tout le monde est réciproquement protégé, et encore Jean-Pierre pèse ses mots. La police n’aura le droit qu’à quinze jours pour visionner les images et vérifier si les rassemblements de jeunes traversent bien dans les clous.
Mais pour les cambriolages alors, elles font quoi les caméras ? Elles font confiance aux référents « participation citoyenne ». Bah oui, comme dit Jean-Pierre : « C’est pas la police toute seule qui va régler le problème, faut que le citoyen, le Palaisien, donne aussi un coup de main ». Jean-Pierre a dit qu’on avait vingt référents « participation citoyenne », ces bénévoles qui œuvrent pour la sécurité « dans leur rue ». Rappelons que cette initiative est à l’origine de Claude Guéant, homme dont la probité et l’honnêteté ne sont plus à démontrer.
Jean-Pierre pèse ses mots mais Jean-Pierre parle vrai. Vingt référents, c’est pas assez ! Il va falloir se sortir l’œil du cul, parce que si on avait cinquante référents comme à Bièvres, Jean-Pierre a dit que le commissaire avait dit qu’on pourrait baisser les cambriolages de 20 à 40 %. Là on a eu l’impression de retrouver notre vrai Jean-Pierre. Le problème, c’est que des gens disent à Jean-Pierre qu’il n’y a pas grand monde qui sait qui sont ces référents. Ni même où ils se trouvent, dans leur propre quartier. C’est vrai a dit Jean-Pierre, car beaucoup souhaitent rester discrets. Bénévoles et discrets. Ceux qui donnent sans le dire sont généreux deux fois.
Que font les référents ? Ils doivent être capables de reconnaître lorsque « quelque chose d’anormal » se produit. Et là encore, Jean-Pierre pèse ses mots. C’est pour ça que Jean-Pierre a dit qu’il « sollicit[ait] les retraités ». Ces gens-là connaissent leurs rues et « sont plus souvent chez eux dans la journée » ajoute-t-il, un brin sociologue. Pour devenir référent de sa rue, c’est tout simple, comme dit Jean-Pierre, vous donnez votre nom aux policiers et c’est gagné. Jean-Pierre nous a quand même rassuré⋅e⋅s : pour être référent « participation citoyenne », il ne faut surtout pas avoir de casier judiciaire. C’est dommage pour Claude Guéant.
Mais attention ! Jean-Pierre pèse tellement ses mots qu’il dévoile alors la vocation sociale du dispositif : « C’est valable aussi par exemple pour la vielle dame qui, un jour, n’ouvre pas ses volets alors que tous les matins elle les ouvre. Il doit se passer quelque chose, car aujourd’hui ses volets ne sont pas ouverts ». Pourvu que la vieille dame ne soit pas elle-même référente, sinon ça tourne en rond.
Pour finir, Jean-Pierre a parlé chiffres. Alors là, il a tout lâché. Ça faisait deux ans que vous souhaitiez connaître le coût de l’enquête de victimisation et du diagnostic de sécurité de 2015 ? En conseil de quartier une question suffit : c’était 30 000 €. En réunion publique pourtant, Lasteyrie avait estimé ça à 5 000 balles. Si Jean-Pierre pèse ses mots, Grégoire pèse ses chiffres. Pour les caméras c’est beaucoup plus cher, ça vous fera 1,2 million d’euros m’sieur-dame. Est-ce votre dernier mot, Jean-Pierre ?
Le Petit ZPL
Exemple : Palaiseau est une ville très calme, et je pèse mes mots.