En France, on compte à trois types de structures visant à enfermer les étrangers en situation administrative irrégulière, ainsi que les demandeurs d’asile. Il y a les zones d’attente, situées dans des aéroports, gares ferroviaires et ports, où les étrangers sont maintenus. Il existe également des locaux de rétention administrative où les immigrés sont retenus après une garde à vue en attendant d’être transférés dans un autre type de lieu : les Centres de Rétention Administrative (CRA).
On compte une trentaine de CRA sur l’ensemble du territoire français. Dans la définition officielle donnée par l’administration, les CRA ont pour but de « maintenir dans un lieu fermé un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente de son renvoi forcé. Ces lieux de rétention sont des bâtiments surveillés par la police ou la gendarmerie nationale ». Les préfets sont chargés de rendre la décision administrative concernant les étrangers visés. Ces centres dépendent donc directement du Ministère de l’Intérieur. En somme, les CRA sont des lieux où les étrangers qui n’ont pas pu présenter les bons papiers au bon moment sont enfermés, avant d’être expulsés.
Ces lieux de privations de libertés ont été créés en 1981, en réponse à un scandale provoqué par la découverte d’un lieu d’enfermement clandestin à Marseille, géré par l’administration, où les immigrés étaient enfermés avant leur expulsion.
Aujourd’hui, un CRA peut « accueillir » 140 personnes maximum, hommes et femmes, pour une durée limitée à 45 jours. Mais théoriquement pas d’enfants, selon la convention de Genève. Pourtant, de nombreux enfants ont déjà été cette année enfermés et expulsés, avec leurs familles, en particulier à Metz, et surtout à Mayotte, 3 512 cas en 2013. Cependant, la mission des CRA n’est pas censée avoir un caractère punitif, puisque ces étrangers n’ont commis aucun crime ou délit.
À Palaiseau, situé à 5 minutes de la rue de Paris, près de la sous-préfecture et du commissariat, un CRA non-mixte, pouvant accueillir jusqu’à 38 personnes, a été ouvert en août 2005 durant le mandat municipal de François Lamy (PS). La localisation est stratégique, puisque ce centre est situé relativement près de la prison de Fresnes et de celle de Fleury-Mérogis. Certains retenus du CRA de Palaiseau viennent donc de ces prisons, après avoir purgé leur peine. À l’intérieur du centre, l’association France Terre d’Asile intervient afin d’aider juridiquement les retenus qui viennent principalement de pays africains et asiatiques dans les procédures administratives et légales, c’est à dire les informer de leurs droits à « solliciter l’assistance d’un interprète et d’un avocat (…) rencontrer un médecin, contacter son consulat (…). Enfin, une demande d’asile peut être déposée pendant les cinq premiers jours ». (franceterreasile.org)
En 2014, les cinq organisations ayant pour but l’aide aux étrangers en CRA, dont la Cimade, ont rendu un rapport indiquant que près de 50 000 personnes « ont été privées de liberté dans les centres et locaux de rétention administrative, soit une hausse de 9 % par rapport à 2013 ». Selon un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL, une autorité administrative indépendante française), « entre le 1/10/05 et le 30/10/08, le CRA de Palaiseau a accueilli 3 496 étrangers ».
Cette intervention, début 2012, du CGLPL à Palaiseau n’était pas aléatoire, mais découlait de l’action de l’Observatoire citoyen du CRA, dénonçant de graves dysfonctionnements au CRA ayant conduit à une grève de la faim de la majorité des retenus. En 2009 déjà, au moment d’une autre grève de la faim, une juriste de la Cimade avait demandé l’aide de la société civile. RESF91 (Réseau éducation sans frontières), la Ligue des Droits de l’Homme, le PC, le PG, EELV, la CGT ainsi que d’autres organisations, avaient répondu présent et dénoncé les conditions de rétention et d’expulsion. Cependant, les organisations mobilisées ont voulu une action dans la continuité. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau a été créé. Sa présidente actuelle, Claude Peschanski, explique son rôle : « C’est un observatoire de citoyens. (…) Il rassemble ceux qui veulent briser le silence qui entoure l’enfermement et l’expulsion d’étrangers, ceux qui n’admettent pas que cela se passe à nos portes, en notre nom, dans notre ville ». En plus de veiller à la défense et au respect des droits des étrangers retenus au CRA, les objectifs de l’observatoire sont « d’exercer une grande vigilance sur les conditions de la rétention des étrangers, au moyen de visites régulières » afin de briser leur isolement, de les soutenir moralement, de montrer qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils ont du soutien. L’Observatoire citoyen du CRA recueille aussi le témoignage des retenus, pour dénoncer « les atteintes qui sont faites à leur dignité et à leurs droits fondamentaux ». Les membres de l’Observatoire essaient quand ils le peuvent d’assurer des traductions d’informations sur les droits et les conditions de rétention aux étrangers, censées être assurées par l’État, afin qu’ils comprennent leur situation. Ils assistent également aux audiences de justice des retenus en tant que soutiens, et organisent un Cercle de Silence, « afin de témoigner publiquement de notre solidarité avec les retenus de Palaiseau » peut-on lire sur le site de l’Observatoire.
L’association a notamment obtenu qu’un panneau avec les horaires des visites soit installé à l’entrée du CRA, et demande, outre la suppression des CRA, que figurent les horaires des vols d’expulsion à l’intérieur du centre, afin que les retenus ne soient pas en permanence dans la peur et le stress que des policiers viennent les chercher pour les mettre dans un charter. Ce type d’association joue un rôle majeur afin que les conditions de rétention des étrangers se passent au mieux, ou plutôt, au moins pire.
Depuis 1981, de nouveaux CRA sont régulièrement construits dans l’Hexagone. De plus, la durée de rétention est passée d’une semaine à leur création, à 32 jours jusqu’en 2011, puis à 45 jours aujourd’hui, avec la loi Besson.
En 2009, sur près de 80 000 retenus en CRA, près de 20 000 ont été expulsés. Ce qui veut dire que près de trois personnes sur quatre ne sont en fait pas expulsées mais restent gardées en rétention, et donc privées de liberté pendant parfois 45 jours, sans raison, à part leur situation administrative. Dans certains cas, tels que l’apatridie, la nécessité d’un suivi médical et le renvoi vers un pays classé « dangereux », les retenus sont censés ne pas être expulsés. Parfois, ils le sont quand même, ce qui est illégal, parfois non, ce qui rend la rétention bel et bien punitive, malgré le discours officiel.
En fait les CRA n’existent pas pour leur « efficacité » à renvoyer les retenus chez eux. Ils existent pour dissuader d’autres étrangers de venir, ainsi que pour les maintenir dans la peur, dans la précarité, et donc d’en faire une main d’œuvre obéissante et malléable. Malheureusement, la France ne fait pas figure d’exception dans l’Union Européenne. Chaque année, près de 600 000 étrangers sont enfermés sur le territoire de l’UE. Et les conditions des retenus ne sont pas près de s’améliorer : la conjoncture internationale nourrit la rhétorique xénophobe de l’extrême droite, qui peu à peu, devient la norme idéologique, aussi bien à droite qu’à gauche.
http://observatoirecrapal.jimdo.com/
(source : CIMADE, 2014)
Par R.G. & M.E.
Infographie : VAL & ANT