La voix statuant sur leur cas n’est pas la leur, mais celle de leurs détracteurs. Celle des chiens de garde à la botte du pouvoir économique, toujours prompts à dénoncer une voiture brûlée mais aveugles à la violence mutique que leur système inflige à des millions de personnes.
Pourquoi ce bloc noir grossit à chaque manifestation ? Pourquoi, de rabatteurs en fin de manifestation, ils sont aujourd’hui en tête de cortège ? Pourquoi ai-je entendu des syndicalistes pacifiques les acclamer ? Pourquoi moi, jeune cadre sans histoires, je me retrouve masqué avec eux ?
Au début, il y a eu la prise de conscience. Celle d’un malaise social profond, d’injustices répétées, la vision claire d’une élite méprisante et méprisable. Puis, comme pour beaucoup d’Hommes, les injustices deviennent difficiles à supporter. Certains choisissent de se résigner, d’oublier. J’ai choisi de m’engager.
J’ai ainsi participé à des mouvements de dénonciation, des pétitions avec des millions de signatures, des manifestations, toujours dans le plus grand pacifisme. Toute cette énergie libérée par des centaines de milliers de personnes. Et… rien. Le gouvernement n’a pas réagi, n’a pas même daigné ouvrir un dialogue.
Que faire alors ? Les injustices grossissent. Une amie se retrouve à l’hôpital sous un tir de flash-ball, nous sommes gazés et tapés régulièrement, des centaines de blessés et certains graves, un mort, aucune condamnation dans les rangs de la police. Un manifestant en prison pour avoir collé des tracts. Un politicien libre et en poste après avoir détourné des millions. La rage monte, pas uniquement une rage aveugle contre la police, mais une rage profonde contre un système aveugle, institutionnalisé et répressif.
Et là, une rupture. Pour moi ce fut le 49.3, pour d’autres la loi elle-même, ou encore le traitement réservé aux réfugiés. La rupture de l’injustice, de l’incapacité, la rupture qui vous fait remettre en question vos principes. Pourquoi la non-violence ? Qui nous a dit que c’était mal ? Sans la violence nous n’aurions jamais eu de révolution de 1789, nous n’aurions jamais eu de congés payés, de sécurité sociale, nous n’aurions jamais eu ce droit du travail, aujourd’hui menacé. Presque tous ces progrès qui nous ont fait sortir du servage, en bons consommateurs vivant dans le confort que nous sommes aujourd’hui, nous les lui devons. Ces avancées, nous, le peuple, on ne nous les a pas données, nous les avons prises par la force.
Nous voici alors dans la rue, dans ce black-bloc masqué, entre un retraité, un soixante-huitard, une lycéenne, un jeune de banlieue, un anglais « casseur » à plein temps, un doctorant… une somme de profils divers, unis. Tous comprenant que seul le spectaculaire, seule cette décharge de rage sur les symboles de l’État et du capitalisme, seule cette violence, pourront faire trembler un peu les 1 %. Et qui sait… peut-être les faire reculer dans leur domination. Pas de justice… pas de paix.
Anonyme