La démocratie, c’est encore un mot grec antique plein de sens, ça veut dire pouvoir du peuple. Le mot peuple, c’est une expression politicienne qui veut dire les gens. La démocratie représentative, c’est la représentation des gens par des élu⋅e⋅s qui sont censé⋅e⋅s défendre l’intérêt collectif, askip, selon le programme qui a convaincu l’électorat. C’est déjà le bordel, normalement, puisque les gens qui vivent en démocratie disposent de la liberté d’expression, ce qui fait qu’ils ne sont pas toujours d’accord.
C’est pas grave, d’après la 5ème République. Il suffit d’organiser des élections au suffrage universel avec un ou deux tours et une « dose de proportionnelle ». Comme ça, tout le monde est content. C’est un peu comme un tournoi de foot, y’a d’abord la phase des poules et après on passe direct en finale. Comme la Vème République a été pondue par un Général, en France, le mode d’administration des gens libres et égaux de la République est construit comme un régiment, y’a plein de chefs et de sous-chefs. Il faut du silence dans les rangs.
Or, le mode de scrutin aux élections municipales, c’est marrant, parce que c’est pas du tout représentatif, mais alors pas du tout. Voyons voir ce qu’il s’est passé en 2014 à Palaiseau. C’est vraiment un bon exemple de l’arnaque électorale.
Le corps électoral, c’est le peuple amputé
En 2014, Palaiseau comptait 33 318 habitants. C’est l’INSEE qui le dit. Le corps électoral, comme on dit, c’était 20 861 personnes. Ça fait déjà une belle réduction, tout ça. Bref, si t’as appris les soustractions, tu remarques que y’a déjà 12 457 personnes qui ne peuvent pas voter. C’est qui, ceux là ? Les enfants de moins de 18 ans. Pourquoi ? Ils sont considérés comme mineurs. Pourquoi les mineurs ne voteraient-ils pas ? Les adultes en général se croient plus mûrs et libres de leurs choix que les enfants. Or, chaque personne dotée d’un sens minimal d’observation sait très bien qu’on peut rencontrer des enfants de 12 ans beaucoup plus mûrs et moins influençables que des quinquagénaires. D’ailleurs, en France, la responsabilité pénale est fixée à 13 ans, mais pas le droit de vote. Ce deux poids deux mesures relève donc bien d’une discrimination juvénophobe.
Qui sont les autres exclu⋅e⋅s du vote ? Les étrangers hors Union Européenne. Un Allemand qui vit à Palaiseau depuis 3 ans peut voter aux élections locales. Une Sénégalaise qui vit à Palaiseau depuis 20 ans ne peut pas voter. Les fanatiques de l’U.E. et les obsédés de la démocratie pas représentative pourront essayer douze mille arguments, la vraie raison, c’est le racisme. Aucun président n’a eu le courage d’élargir le vote aux étrangers installés durablement en France. Il est vrai que les présidents aiment rarement la démocratie.
Y-a-t-il d’autres exclu⋅e⋅s ? Oui, les personnes qui ont perdu leurs droits civiques, les déchu⋅e⋅s et les gens qui ne se sont même pas inscrits sur les listes, souvent des déçu⋅e⋅s. Quoiqu’il en soit, à Palaiseau, y’a que deux habitant⋅e⋅s sur trois qui peuvent voter. C’est déjà, tout de suite, beaucoup moins représentatif.
L’abstention gagne le premier tour
T’as déjà compris qu’on part avec un tiers perdant, et après, c’est encore moins représentatif. En 2014, au premier tour, on a compté 8 228 abstentionnistes. Là, tu ressors la calculette : les résultats du premier tour, c’est seulement l’expression de 38 % des habitant⋅e⋅s de Palaiseau. Ça, c’est un truc qui devrait un peu calmer les élu⋅e⋅s, mais en général, non, ça ne les calme pas. Attends, parce que y’a même des gens qui se sont déplacés pour voter blanc ou nul, 497 personnes en 2014. Bon, les abstentionnistes, c’est toujours difficile à mesurer, entre ceux qui étaient malades, celles qui s’en foutent complètement, ceux qui sont dégoûtés par les politicien⋅ne⋅s, celles qui ne croient plus du tout en ces trucs là. Mais les bulletins blancs ou nuls, c’est quand même des gens qui viennent dire : je ne veux ni de la bande à Lasteyrie (LR), ni de la bande à Robillard (PS), ni de la bande à Rouyer (EELV).
La bande à Lasteyrie, elle a reçu 5 305 voix, ce qui fait grosso modo 16 % de la population palaisienne, 25 % du corps électoral. La magie démocratique lui reconnaît 43,7 % des suffrages exprimés. C’est souvent ce chiffre là que communiquent les journaux.
La bande à Robillard, 4 682 voix, ça fait 14 % de la population palaisienne, 22,5 % du corps électoral, 38,5 % des votes exprimés.
La bande à Rouyer, 2 149 voix, ce qui fait 6,5 % de la population palaisienne, 10,3 % du corps électoral, 17,7 % des votes exprimés.
Le comportement électoral le plus fréquent, c’est l’abstention, qui tape un score de 26,5 % de la population palaisienne, et de 42 % du corps électoral. Tu te dis que normalement, dans une démocratie représentative, faut annuler, y’a un gros rendez-vous manqué, là, faudrait penser à faire autrement. Mais non, les élu⋅e⋅s d’la République continuent quand même. La bande à Rouyer fusionne avec la bande à Robillard et c’est reparti pour un tour.
L’abstention enchaîne une deuxième victoire
Les gens ont un peu plus voté au second tour, mais c’est encore l’abstention qui gagne. L’abstention au deuxième tour, c’est 7 762 personnes, donc 23 % de la population palaisienne et 37 % du corps électoral.
La bande à Lasteyrie, c’est 6 615 voix, donc 19,8 % de la population palaisienne, 31,7 % du corps électoral.
La bande à Robillard et Rouyer, c’est 6 028 voix, donc 18 % de la population palaisienne, 28,8 % du corps électoral.
La magie démocratique affiche les scores suivants : 52,32 % pour Lasteyrie et 47,67 % pour Robillard.
Zoomons grosso-modo. Si l’on regarde le corps électoral, il est coupé en trois : un gros tiers d’abstentionnistes, un petit tiers de droites fusionnées et un petit tiers de gauches plurielles. Et alors, là, comment elle fait la République avec son pouvoir du peuple, sa Démocratie représentative, ses lettres majuscules et ses trémolos dans la voix ? Elle nous met une grosse carotte sur le canapé.
La Bande à Lasteyrie squatte trois quarts des sièges
Tu vois, le « srcutin majoritaire avec une dose de proportionnelle », il finit comme ça :
La bande à Lasteyrie pose ses fesses sur 30 sièges : ça fait donc, ouvre l’œil, 76 % des élu⋅e⋅s pour une liste qui ne représentait au deuxième tour que 23 % de la population et 31,7 % des inscrit⋅e⋅s.
La bande à Robillard et Rouyer n’a que 9 fauteuils, ça fait donc 24 % des élu⋅e⋅s pour une liste qui représentait au deuxième tour 18 % de la population et 28,8 % des inscrit⋅e⋅s. Du coup, Robillard, ça ne l’a pas amusée, elle s’est barrée. Lamy, l’ancien maire, lui aussi, il est parti.
La bande aux abstentionnistes, bah, là, faut s’asseoir par terre ou venir avec son tabouret, y’a rien de prévu pour les 37 % des inscrit⋅e⋅s qui ne se sont pas senti⋅e⋅s représenté⋅e⋅s avec une de ces trois bandes.
Alors là, tu vois, la dose de proportionnelle, c’est pas vraiment la générosité équitable d’un quatre-quart moitié-moitié. C’est pas vraiment l’ouverture à la pluralité des idées, le partage et l’échange, c’est des miettes pour les perdant⋅e⋅s et chantilly pépites de chocolat pour les gagnant⋅e⋅s. D’ailleurs, c’est peut-être un peu pour ça que des gens pensent que l’opposition municipale, ça sert à rien. C’est peut-être un peu pour ça que des gens pensent qu’une majorité municipale, c’est pas si légitime que ça. C’est peut-être même un peu pour ça que beaucoup de gens s’abstiennent. On dirait que la République a truqué la démocratie.
Briac Chaud-Chaud