La fête foraine passe à Palaiseau depuis plus de 35 ans. Chacune et chacun a pu conserver des souvenirs enfantins. Benoît, par exemple, se souvient y avoir roulé sa toute première pelle. Elle s’appelait Myriam. Elle sentait la vanille. C’était en 1986. Moi, j’y avais déjà gagné un poisson rouge. Ce dernier avait malencontreusement terminé son crawl dans les toilettes, alors que Mike, le sien qu’il avait surnommé Géronimo, avait nagé plus de 7 ans. Cette super fête qui avait pris, depuis quelques années, ses habitudes sur le parking de la mairie risquait cependant d’être annulée en avril 2016, par décision du maire.
Les forains ont fait suivre une pétition pour conserver la fête, lancé une page Facebook de soutien et tracté sur les marchés. Habilement, ils ont compris que ça ne chatouillerait pas trop la mairie. Alors ils ont carrément bloqué la rue de Paris, avec semi-remorques, pancartes et tout. « Forains en colère », « On veut le droit au travail ! » Le mouvement social contre la Loi Travail qui traversait tout le pays semblait avoir fait des émules. Les forains réclamaient le droit de bosser. Et puis, il fallait la voir pour y croire : une véritable chaîne humaine de policiers sécurisait l’entrée de la mairie, sur le parcours de la « manif ». Face à eux… seule une trentaine de personnes, tout au plus. Quelques femmes, quelques hommes, en K-Way et doudoune, sous quelques averses. Un cordon bleu de sécurité pour rien. Bref. Les démarches s’accélérèrent, comme par miracle. Le maire, qui ne souhaitait pas particulièrement leur serrer la pogne avant mai – quand la fête était prévue pour avril – se libère dès le lendemain et les rencontre. Les forains obtiennent gain de cause in extremis, la fête est délocalisée rue Cyprien Muret, non loin des terrains de tennis, vers l’usine désaffectée.
Mais la fête est réduite. Faute de temps, les autos n’ont pas pu tamponner plus de 4 jours cette année-là, contre 15 auparavant.
« Selon le maire (LR), Grégoire de Lasteyrie, leur présence pénaliserait les commerçants locaux ».
Le Parisien – « À Palaiseau, le blocus des forains en colère » – 12 avril 2016.
Pour justifier cette décision d’annulation, dans un premier temps, et de délocalisation ensuite, l’ancien président de l’Essor Palaisien – une importante association de commerçants – était cité dans Le Parisien : « À chaque fois que le parking est monopolisé c’est presque 30 % en moins sur notre chiffre d’affaires »(1). Trente pour cent dites donc ! Même pas plus ? Pas moins ?
Nous sommes allés voir les commerçants pour en discuter avec eux.
À Palaiseau, deux tiers des commerces palaisiens sont implantés dans la rue de Paris. En mettant de côté les nouveaux commerces qui n’étaient pas encore installés à l’époque et les banques, nous avons pu interroger les gérant⋅e⋅s de 67 boutiques.
Du Miroir 2000, en bas de la rue de Paris à la Cave à Vins tout en haut, en passant par le Chocolatier De Neuville à la gare, 5 de ces 67 commerces reconnaissent avoir vu leur chiffre d’affaires baisser. Mais d’un petit peu. Que « 30 % quand même, c’est un peu exagéré ». 3 ne se prononcent pas. Les 59 autres commerces ont répondu unanimement qu’aucun impact lié à la fête foraine dans sa version « derrière la mairie » n’avait été ressenti sur la trésorerie. Nous leur avons alors posé une seconde question.
Le Palaiseau Vag’
Suite à l’article du Parisien, le Palaiseau Mag’ de mai 2016 justifiait dans ses colonnes la délocalisation de la fête foraine part un petit encart très justement intitulé « La fête foraine déménage ». Dans ce bulletin municipal, nous apprenions que ce déménagement faisait « suite à la demande des commerçants qui souffraient de se voir amputer d’un parking pendant 3 semaines ».
Alors rebelote. Aux 67 boutiques que nous avons sondées nous avons demandé si une réclamation de la sorte avait été formulée de leur part. À nouveau, les réponses sont unanimes : si beaucoup reconnaissent que même la brocante du bout galeux, le village des assos ou encore la fête de la ville – et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une animation en fait – monopolisent aussi des places de parking, seuls 3 commerçants disent avoir fait remonter une demande au maire concernant la Fête Foraine. 2 ne se prononcent pas. Les 62 autres se montrent surpris, tantôt amusés. Ils affirment ni n’avoir été consultés, ni fait remonter de demande particulière. « La fête foraine n’a jamais été un sujet de discussions entre commerçants » avons-nous recueilli sur de nombreux seuils. « Des demandes, nous en faisons régulièrement. On les fait clairement et par écrit. On n’a jamais fait de demande officielle au sujet de la fête foraine » confirme le nouveau président de l’Essor Palaisien. Ça, ça doit encore être un bel exemple de concertation réussie, j’parie.
Cerise sur le churros, nous avons croisé Éric Houet, conseiller municipal de la majorité, en charge des relations avec les commerçants. « Mon sentiment c’est même que ça ramène du monde dans le centre, ce qui est plutôt bon pour le commerce » confie-t-il, bien placé pour en parler. En gros, il était vachement d’accord avec ce que nous a dit la grande majorité des commerçants.
Certains disent entretenir des liens cordiaux et parfois même commerciaux avec les forains. D’aussi loin qu’on s’en souvient, des coupons « Fête Foraine » sur lesquelles on peut récolter des tickets gratuits sont déposés chaque année dans les boutiques du centre. À une époque, ils étaient même prédécoupés. C’était bien pratique. Nous, on a surtout entendu parler de Villebon 2 comme d’un aspirateur à clients, du stationnement même des commerçant⋅e⋅s du centre qui deviendrait parfois gênant et des clients qui se gareraient bien jusque dans la vitrine s’ils le pouvaient. Se mettre en marche c’est parfois plus compliqué qu’on le croit. Même pour quelques dizaines de mètres ?
Dernier tour et on ferme
Au fond, comme on nous a joliment dit par-ci par-là, peut-être que le maire en avait simplement marre d’entendre en boucle David Guetta depuis ses fenêtres. La queue du Mickey, n’en parlons pas. Même si c’était qu’une fois par an. David Guetta c’est pour les d’jeun’s des auto-tamponneuses. Chacun de ceux que nous avons interrogés a pu nous donner son avis. « C’est surtout une décision politique », « Peut-être qu’ils ne payaient pas de taxes ? », « Ça ramenait des racailles, parait-il ». « C’est dommage, c’était bien pour les enfants »…
À vrai dire, vouloir éloigner un peu la fête du centre-ville n’est pas un gros problème. Dans d’autres villes aussi les fêtes foraines sont excentrées. Pourquoi pas chez nous, comme dirait le maire. Mais la manière dont le dossier fut traité, la façon dont les délégués syndicaux des forains, malgré leurs multiples relances furent ignorés, démontre ici un bon gros mépris pour la barbe à papa. Le public ciblé par ses jeux et friandises est généralement jeune. Il vient un peu plus peupler le centre-ville qu’il ne le fait d’habitude, et ce deux semaines par an. Ça dynamise les marchands de bonbecs et les grecs. Ça fait de l’intergénérationnel. Non, sans blague, à Palaiseau ça change un peu.
Mais qu’ils aillent ailleurs !
De ne proposer aux forains qu’un rendez-vous en mai – quand la fête était prévue pour avril – prouve une fois de plus l’obstination de la mairie à empêcher, contrôler ou encadrer des fêtes populaires. Les exemples sont d’autant plus nombreux lorsqu’il s’agit de fêtes ou d’événements dont la municipalité n’a pas les commandes. Pour autant, la pression instaurée par les forains fut payante et aura permis de régler l’affaire rapidement. À deux semi-remorques et vingt péquins, la méthode du blocus a fait bafouiller la municipalité. Cette méthode, quoi qu’on en pense, s’est montrée plutôt efficace. Plus rapide que d’autres, que l’on retrouve dans quelques luttes locales, rapidement maîtrisées par des clefs de bras administratives et qui finissent quasi toujours en « projet participatif, co-construit, concerté et pragmatique », sans âme et impersonnels.
Enfin, comment est-il possible que des informations relayées par Le Parisien et le Palaiseau Mag’ aient été à ce point approximatives et infidèles à la vision des marchands, concernant la fête foraine ? Des mauvais esprits pourraient presque croire en l’instrumentalisation médiatico-politique des commerçants dans le but d’envoyer, avec des fleurs, tout ce petit monde du manège, des pommes d’amour et des chouchous, aller faire son cirque ailleurs. Mais là, ce serait presque voir le mal partout.
Cette année la Fête Foraine se tiendra rue Cyprien Muret, du 7 au 22 avril 2018.
Tom,
Stagiaire de 3ème dans la pépinière d’entreprises Le Petit ZPL / Cuculla Pralinae,
avec Mike Strach,
Tuteur de stage à toute heure