#16 – À cloche-pied : Pseudo-cassociologie d’une semi-dépiétonnisation* réussie

Si j'habitais à Palaiseau, je boirais des coups au Paris pour lutter contre la pollution des bagnoles…

Ça sonde ça concerte et ça re-sonde

La concertation des habitant⋅es, c’est le pied, même quand ça cloche. Ces gens-là ont des idées plein la tête, alors ça promet un excellent scénario participatif. Comme le maire a fait HEC et qu’il est de plus en plus écolo, c’est forcément top pour améliorer l’attractivité pédestre d’une rue commerçante. Quand la boîte à idées est bien remplie par la citoyenneté locale, le cabinet de consultants a des méthodes scientifiques pour trancher démocratiquement avec des pourcentages vraiment favorables. Alors, c’est possible de dégager deux ou trois possibilités concertées, histoire que tout se passe pour le mieux. Enfin, il suffit de voter massivement pour la meilleure version.

Sauf que les commerçant⋅es ne sont pas toujours d’accord avec cette version-là. C’est là qu’il faut faire preuve de souplesse, surtout quand le sondage qu’ils proposent à leur tour donne d’autres résultats largement aussi scientifiques que les premiers, bien au contraire. Là, c’est la démocratie locale qui gagne à tous les coups et jamais les habitant⋅es ne se sont senti⋅es autant consulté⋅es.

C’est ce qu’il y a de fabuleux, dans cette association étroite entre la science, le débat d’idées et la proximité des pouvoirs d’agir : ça permet d’ajuster le projet au plus près des besoins des habitant⋅es. C’est beau comme des chaussettes de proximité taillées sur mesure. Et puis marcher, c’est bon pour la santé des habitant⋅es, comme aurait dit, askiparé, le maire à son nouveau chauffeur. Désormais, les règles concertées garantissent efficacité du vivre ensemble et courtoisie dans l’hypercentre. C’est c’que la municipalité appelle une « zone de rencontre ».

Un hypercentre au carré

Pour le stationnement, c’est simple comme un arc-en-ciel. Y’a des zones blanches des zones rouges, des bleues et des vertes. De toute façon, il suffit de saisir sa plaque d’immatriculation avant d’aller chercher le pain pour avoir une heure gratuite. Pratique. Sinon, c’est vrai que le projet participatif a décidé d’augmenter partout les tarifs. Bah oui, c’est dommage un parking souterrain sans les voitures prévues à cet effet.

Comme les habitant⋅es de la rue d’Auvergne se sont demandé si on n’les prenait pas pour des orteils, le maire a su tendre l’oreille en baissant l’augmentation. C’est moins coûteux que prévu mais quand même plus cher qu’avant. Faut bien payer un peu la transition écologique comme dirait askiparé le chauffeur du maire. Quand on a la chance d’habiter en HLM dans l’hypercentre, c’est pédagogique de financer le sauvetage de la planète. Les bornes électroniques réduisent l’empreinte carbone. Et puis, vu que la concertation c’est long et pénible comme une randonnée en sandales, ça coûte un peu de peinture publique de repasser les zones blanches en zones vertes et les bleues en rouges et vice-versa.

Pour profiter d’une belle piétonisation participative, il faut que les voitures fassent des efforts d’adaptation comme dirait askiparé le maire à son nouveau chauffeur.

Le réaménagement, ça suppose toujours des re-réaménagements parce que le réel, c’est quand on se cogne. Pour profiter d’une belle piétonisation participative, il faut que les voitures fassent des efforts d’adaptation comme dirait askiparé le maire à son nouveau chauffeur. Par exemple, quand deux bagnoles se retrouvent face à face en contre sens unique rue d’Auvergne ou rue Pasteur, on peut déduire que l’une des deux s’est trompée de sens. Pour savoir qui, il suffit de déduire l’âge du sens interdit le plus cohérent, sauf riverain⋅es. Et toujours garder en tête le proverbe participatif suivant : « l’intérêt général, c’est pas toujours logique ». Tout le monde peut tomber dans le panneau, surtout quand il y en a trop.

Un centre vide suranimé

Les commerçant⋅es n’ont rien contre les piéton⋅nes mais le problème c’est qu’iels en voient peu. On dirait que les gens se sont pris les pieds dans la rue d’Paris et qu’après la borne électronique ils ne viennent plus, sauf les vélos en double-sens. Iels sont comme ça, les habitant⋅es, quand on leur change trop vite les habitudes concertées, iels les perdent.

C’est pourquoi le projet concerté a fait venir des tas de barbes à papa, des lampions, des bulles géantes, et des animaux de la ferme un peu malades mais photogéniques. On ajoute un manège au coin avec ou sans bonnet d’âne, ça attire les gosses et donc les chaland⋅es, comme on l’apprend à HEC. On ajoute là-dessus un partenariat public-privé avec Le Paris, la bière coule à flots sur la terrasse remplie et ça tombe toujours bien pour les story Facebook des maires-adjointes qui adorent photographier la place de la Victoire bondée de monde. C’est gagnant-gagnant ! Le musée du Hurepoix expose désormais les tables et chaises de la brasserie à succès en guise de remerciement. Sinon, y’a la cabane estivale d’Heraklès, c’est à cinq minutes à pied l’été, ça fait 15 € la salade grecque, comme ça y’en a pour tous les goûts. Ça donne une impression de Palaiseau Plage en centre vide, un mois d’août qui dure quatre mois, la douceur d’un clapotis de tongs qui rythme la piétonisation concertée. C’est un « nouveau départ », comme a dit le maire et tout le monde devrait être content, sauf les commerçant⋅es.

Alors c’est ici que le génie de la concertation s’exprime encore, pour montrer sa capacité à entendre tous les points de vue, même les points de vue minoritaires. Les commerçants ont besoin de client⋅es, comme a dit HEC. Trop de piétonisation tue la piétonisation, comme dirait askiparé le chauffeur du maire. Une année compte quatre saisons, comme disent les zones tempérées. Alors on se re-réunit dans un îlot de fraîcheur et on reconnecte les podomètres.

Un savant réajustement : la semi-dépiétonisation saisonnalisée

On croise convenablement les avis divergents, les résultats scientifiques, les données de l’expérience, le mécontentement des commerçant⋅es et l’intelligence artificielle et on invente ensemble la semi-dépiétonisation saisonnalisée. C’est compliqué, mais fallait y penser.

Désormais les rues en contresens repassent en contresens, l’hiver et l’automne sont partiellement re-dépiétonnisés le matin et l’après-midi mais pas le week-end, la rue du Fort on peut la prendre dans tous les sens, surtout en vélo, mais l’été on re-piétonnise aussi les après-midis de la semaine et toute la journée le week-end et jours fériés. Si on est un peu perdu, y’a un super panneau entre Nicolas et la Société Générale, tout y est parfaitement expliqué, avec les moyens de locomotion, les tranches horaires, les saisons et le portrait des bornes électroniques. C’est comme ça, les nouveaux « nouveaux départs », comme a dit le Pâle Mag, ça se comprend pas à pas.

Briacosaure

  • * Semi-dépiétonisation : nom féminin. Opération consistant à remettre en question en soumsoum une piétonisation foirée. Elle se déploie une semelle sur deux avec l’estomac dans les talons.

À lire également :