BLANCS COMME NEIGE (ÉPISODE 1)

Tract à personnaliser
Tract à personnaliser

Horvath candidat hors tract, Molina mal accompagnée

Nous sommes au printemps 2021, pendant la campagne des élections départementales. Les candidat⸱es du RN consacrent l’essentiel de leur tract à la stigmatisation des mineurs non-accompagnés. Indigné⸱es par la violence raciste des affirmations du parti d’extrême droite, et par les malhonnêtes approximations des « informations » contenues dans le tract, Emmanuel Daoud et Catherine Daoud, avocat⸱es, signalent le tract à tous les parquets d’Île-de-France. Leur démarche est suivie par une centaine d’avocats. Les parquets d’Évry, de Versailles, de Bobigny, Créteil, Pontoise et Paris sont saisis. A ce stade de notre humble enquête, il semble que seul⸱es les
candidat⸱es du canton de Palaiseau, Olivier Horvath et Audrey Molina aient effectivement comparu. Ce premier volet explore leurs sidérantes stratégies de défense et les raisons de leur relaxe, une décision de justice rendue le 27 mai 2022, difficilement compréhensible pour les citoyen⸱nes lambdas que nous sommes. Dans un pays où nul n’est censé ignorer la loi, on aimerait quand même avoir les moyens de la comprendre…

Stupéfait·e·s ! Les deux candidat·es local·es du RN ont découvert au tribunal correctionnel d’Évry qu’iels s’étaient fait refourguer un tract à l’insu de leur plein gré ! Et quel tract ! Ça se situe quelque part entre appel à la discrimination, incitation à la haine raciale, et diffusion de fausses nouvelles à propos des mineurs non accompagnés.
En quatre lignes, le parti dédiabolisé reprochait à ces enfants étrangers une « explosion de l’insécurité », des coûts de prise en charge exorbitants et une arnaque régulière à l’âge déclaré.
On reconnaît là la subtile stratégie du néoracisme* lepéniste. Ça ne parle pas directement de race mais ça tape sur des enfants de nationalité étrangère en situation de grande vulnérabilité. Notons d’emblée que malgré le fait que la désignation administrative de ces mineurs en danger soit désormais « mineur non accompagné (MNA) », le rédacteur du tract du RN a opté pour l’ancienne formule de « mineur isolé étranger ».


On se demande par quel adjectif qualifier les multiples stratégies de défense d’Horvath et Molina au tribunal d’Evry : Originales ? Naïves ? Gonflées ? Cyniques ? Idiotes ? Perverses ? Une chose est sûre, les candidat⸱es mis.es en examen y ont été au talent. Ça nous rappelle un proverbe sur les gens qui osent tout. Tout ce qui suit est incroyable mais vrai, on le jure sur la tête du Parisien (1), voyez plutôt :

L’éventail de la stratégie bête et raciste

Mineurs isolés
Mineurs isolés

– la stratégie intimiste : déployée par Olivier « Hors-tract ». Il s’agit de s’estimer victime d’une attaque bassement personnelle, nuisant gravement à sa vie privée. Rapidement balayée par le magistrat, cette stratégie s’est violemment heurtée au principe de réalité. En effet, un candidat à une élection est responsable personnellement du contenu publié sur ses tracts.

– la stratégie « j’étais-même-pas-au-courant ». Lors de la première audience, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux patriotes départementaux ne semblaient plus vraiment se souvenir de leur tract. Audrey Molina a employé cette stratégie de manière jusqu’au-boutiste en allant jusqu’à balbutier qu’elle n’adhérait d’ailleurs pas plus que ça aux propos incriminés. D’autres points du programme du RN étaient infiniment plus intéressants selon elle.

– la stratégie « c’est-pas-moi-c’est-les-autres ». Elle permet de comprendre les deux stratégies sus-citées. Les deux candidats ont effectivement expliqué de manière univoque que c’est le siège du RN qui leur a filé le texte mis en cause et qu’ils ignorent tout de l’auteur ou de l’autrice. C’est fort, la confiance bleu marine !

– la stratégie recto/photo – verso dans l’dos. Ingénu⸱es et transparent⸱es, les rassembleurs nationaux avouent tranquillement le fonctionnement de la campagne du parti, du genre nous on a juste envoyé nos photos pour le recto, le parti s’occupe du reste. Ça donne envie de pleurire : alors que le RN faisait figurer sur les tracts une énigmatique proposition de revalorisation des cultures départementales, il refourgue à toustes les candidat⸱es strictement le même tract. En mode copié-collé national !

– la stratégie « si ça se trouve, c’est vrai ». En complète contradiction avec les stratégies précédentes, elle est signée Olivier « Hors-cadre ». Questionné sur la véracité des affirmations proférées à l’encontre des MNA, il rétorque au juge que tant qu’on n’peut pas prouver que c’est faux, c’est a priori vrai. Cocorico, comme c’est logique !

– la stratégie « j’étais pas là ». Mise à part la photo, Molina a prétendu ne pas avoir fait grand-chose pour cette campagne, ce qui nous rappelle les heures les plus sombres de sa mémoire. Plus espiègle, Horvath a tenté le « pas vu pas pris ». Certes, c’est sa bobine sur le recto, certes c’est bien ce texte sur le verso, mais rien ne prouve que c’est lui qui l’a distribué ! Malins, les De Souche !

Finalement, la relaxe. Mais pourquoi ?

Avec de tels arguments de défense, on reste bouche bée devant la relaxe, d’autant plus que le journaliste du Parisien se montre particulièrement opaque sur les raisons de la relaxe : « Les deux candidats ont expliqué que ce texte émanait du siège et qu’ils n’en étaient pas les auteurs, qu’ils s’étaient bornés à poser pour la photo, sans en connaître le contenu. Il a par ailleurs été rappelé qu’il ne s’agissait en fait pas d’un tract, mais bien d’une profession de foi. Cette dernière étant envoyée par voie postale aux électeurs par la préfecture après avis de la commission de propagande. Les deux candidats n’ont donc pas pu distribuer ce document (2). ». C’est curieux, il nous semblait bien avoir croisé Horvath au marché avec ce tract là…

Comment est-il possible que des candidat⸱es puissent décliner leur responsabilité sur un tract où iels figurent et qu’iels soient ainsi relaxé⸱es sur la forme et épargné⸱es par la justice sur le fond ?

Pour comprendre ce paradoxe apparent, on a contacté Maître Emmanuel Daoud et Maître Catherine Daoud, à l’initiative des signalements et Maître Stéphane Maugendre, avocat du GISTI qui s’était constitué partie civile. Emmanuel Daoud nous a expliqué que ces signalements relevaient en premier lieu d’un geste citoyen de sa part. Catherine Daoud et lui-même ont découvert ce tract dans les Yvelines, iels le trouvent haineux, inacceptable, indigne du débat politique. Iels sont avocat⸱es et signalent à tour de bras. Alors que le procureur de Versailles classe l’affaire sans suite, le procureur d’Évry s’en saisit. Emmanuel Daoud est entendu par un enquêteur de police qui s’investit très sérieusement. Pour des raisons déontologiques, Maître Daoud ne peut pas plaider, on ne peut pas être témoin et avocat sur une même affaire et c’est donc Maître Maugendre qui va prendre le relais.

Sur la relaxe, il s’agit en fait d’une erreur de citation dans la procédure ! Le procureur d’Évry n’a pas attaqué le bon document, il a cité la profession de foi en lieu et place du tract… Alors nous, citoyens lambdas et journalistes bénévoles, on comprend pas bien la différence vu que c’est le même texte, la même incitation à la haine et le même appel à la discrimination. Bref, qu’est-ce que ça change ?
On a de la chance, les Daoud et Maugendre sont pédagogues. Voici ce qu’iels nous ont expliqué à trois voix : l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, relatif à la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence relève du droit de la presse. Or, ce droit est extrêmement technique, très pointu, et très protecteur de la liberté de la presse. C’est rassurant dans un sens, mais c’est dommage que ça puisse bénéficier à un tract aussi violent du RN nous confie Maître Daoud… Pour obtenir une condamnation en la matière, il faut un énorme travail d’enquête, ajoute Maître Maugendre et bien établir la paternité du texte, la responsabilité éditoriale, la circulation du document. On comprend mieux pour quelles raisons Horvath et Molina ont surjoué les amnésiques et les irresponsables. En tous cas, en confondant profession de foi et tract, le procureur a commis l’erreur fatale… Nul besoin pour les candidat⸱es RN d’argumenter sur le fond.

Quant à nous, on a loupé un scoop… Oui, on l’avait, au Petit ZPL la preuve irréfutable qu’Horvath a bien distribué personnellement ce tract ! On vous explique. Quand on a eu vent de cette étonnante relaxe, on a fouillé nos archives, et on a retrouvé la vidéo d’une tentative d’interview d’Horvath, devinez où… Place du marché à distribuer son tract raciste, le 6 juin 2021 précisément ! Interrogé pendant 6 minutes face caméra, exclusivement sur les affirmations haineuses à propos des mineurs non accompagnés, il n’a jamais répondu. Et quand on lui demande pourquoi il ne répond pas et comment ça se fait qu’en tant que candidat, il se montre incapable d’expliquer son propre tract, il répond que les gens qui votent RN savent très bien pourquoi ils votent RN. On n’en saura pas plus ce jour-là.

Comment sont réellement pris en charge les mineurs non accompagnés dans le département de l’Essonne ? Que pensent les professionnel⸱les qui travaillent concrètement auprès d’eux de ces tracts du RN ? Comment les associations antiracistes et les professionnel⸱les de la protection de l’enfance peuvent-iels faire condamner de tels discours ? Comment les citoyen⸱nes, les militant⸱es antiracistes peuvent-iels lutter contre le racisme au niveau local ? Vous le saurez en lisant l’épisode 2 de notre enquête dans un prochain numéro du Petit ZPL !

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(1) Le Parisien 91 : poursuivis pour incitation à la haine raciale, deux ex-candidats du RN relaxés
Le Parisien 91 : Essonne : deux candidats du Rassemblement national jugés pour incitation à la haine dans un tract

(2) Nous citons Sébastien Morelli, Le Parisien, dans son article du 28 mai 2022 : « Les deux candidats ont expliqué que ce texte émanait du siège et qu’ils n’en étaient pas les auteurs, qu’ils s’étaient bornés à poser pour la photo, sans en connaître le contenu. Il a par ailleurs été rappelé qu’il ne s’agissait en fait pas d’un tract, mais bien d’une profession de foi. Cette dernière étant envoyée par voie postale aux électeurs par la Préfecture après avis de la CSommission de propagande. Les deux candidats n’ont donc pas pu distribuer ce document. « À supposer, et j’insiste, à supposer, que l’infraction de haine raciale soit caractérisée, nous sommes saisis sur la distribution d’un tract. Il n’est pas établi que vous l’ayez distribué, d’autant qu’il s’agit d’une profession de foi », a expliqué le président du tribunal. »

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